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passagers chinois ; elle est obligée de garder également les rues par lesquelles les nouveaux arrivés doivent se rendre aux quartiers habités par leurs compatriotes. Cette résistance opposée par les basses classes à l’immigration chinoise n’a point de motif raisonnable, et devra céder tôt ou tard. On peut prévoir dès à présent que cet élément, qui a déjà pris une certaine importance, sera dans un jour prochain fort considérable. Les paquebots du Pacifique seuls amènent en moyenne 12,000 Chinois par an de Hong-Kong à San-Francisco.

Les Indiens que je vis à Truckee étaient d’un aspect repoussant et misérable. Si ce sont là les descendans des héros immortalisés par Fenimore Cooper, il faut reconnaître que la race en a bien dégénéré ; mais il me semble probable que les choses ne se passent pas, sous ce rapport, autrement en Amérique qu’en Chine et au Japon. Dans ces dernières contrées, on ne rencontre de vrais représentans des races indigènes que dans l’intérieur et loin de la société et de l’influence occidentale. Les Européens ont le don, nullement flatteur pour eux, je l’avoue, d’attirer dans leur voisinage les plus mauvais élémens de la population native. Voleurs, assassins, filous, incendiaires japonais et chinois semblent se donner rendez-vous dans les ports ouverts au commerce étranger. Il est certain que l’appât du gain, non moins que le relâchement de la surveillance, les attire plus que toute autre chose. On ne saurait nier cependant que l’effet immédiat de l’influence morale exercée par les étrangers sur les populations de l’extrême Orient est pernicieux plutôt que salutaire. Ceux des indigènes qui vivent en contact avec les Européens ne se distinguent de leurs compatriotes de l’intérieur que par leurs vices et par leur corruption. A Yokohama, c’est une recommandation pour un domestique qui veut entrer dans la maison d’un étranger de n’avoir jusc[ue-là servi que des maîtres japonais. La même influence a dû s’exercer en Amérique sur les tribus sauvages, et il est probable que le beau type d’Indien, tel qu’il a été dessiné par les romanciers ou les voyageurs, ne doit se perpétuer, s’il existe encore quelque part, que dans les solitudes de l’intérieur. C’est là que le descendant des races autochthones a pu trouver un dernier asile contre l’esprit envahissant des conquérans de son pays natal ; il ne tardera pas à en être chassé pour disparaître de la surface de la terre. Les Indiens que j’aperçus aux diverses stations du Pacifique étaient sans exception laids, sales et dans un misérable état. Une seule fois je vis, non loin du chemin de fer, une cinquantaine d’hommes rouges qui traversaient la prairie à cheval en file indienne. Ils étaient bien campés sur leurs selles, et à distance ils me parurent avoir une assez fière tournure ; mais je doute qu’ils fussent sortis à leur avantage d’un examen plus