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peut-être très loin et très haut l’individu qui en fait étalage. Je ne saurais parler du vieux villageois de l’ouest ; je ne l’ai rencontré nulle part. Je suppose qu’il se retire dans les grandes villes pour y chercher repos et sécurité lorsqu’il sent que ses forces ne suffisent plus à soutenir sa place dans la lutte ardente où sa jeunesse s’est passée. La différence entre les villages des États-Unis et les nôtres est encore la même que la différence entre tant d’autres choses américaines et européennes : jeunesse d’une part, maturité de l’autre, caducité peut-être. On est sans cesse entraîné à faire cette comparaison banale ; c’est qu’elle est essentiellement vraie dans sa banalité, et que rien ne pourrait la remplacer.

Nous montons toujours ; nous passons Clipper-Gap, Colfax. Nous sommes à 2,500 pieds au-dessus de Sacramento, que nous avons quitté il y a quatre heures à peine. Le paysage a perdu tout ce qu’il y avait de gracieux dans la vallée, mais il frappe l’imagination par sa grandeur sombre et menaçante. Dans le lointain apparaissent les cimes monstrueuses couvertes de neiges éternelles de la Sierra-Nevada. Nous longeons un terrible précipice, le Cap-Horn. A 2,000 pieds de profondeur, et si près de la voie qu’on y jetterait une pierre, s’étend une superbe vallée couverte d’arbres et à travers laquelle la rivière de Yuba dessine un ruban argenté. Un de nos compagnons de voyage déclare que sa curiosité à l’endroit des précipices est entièrement satisfaite, et qu’à son avis l’ingénieur qui a fait ce tracé, plus convenable à une chèvre qu’à un chemin de.fer, s’était probablement promis de ne pas y voyager souvent. Le breakman auquel il s’adresse sourit et dit « qu’on en verra bien d’autres. » Nous passons Dutch-Flat, Alta, Shady-Run, Blue-Canon, Emigrant-Gap. Nous sommes à une hauteur de 6,000 pieds, dans la région où la construction de la ligne a eu d’immenses difficultés à vaincre. Nous traversons d’interminables tunnels, nous franchissons des gouffres béans sur des ponts dont la solidité, je l’espère, est plus réelle qu’elle ne paraît ; nous longeons des précipices dont l’œil peut à peine sonder la profondeur ; nous traversons enfin, sur un trajet d’environ 80 kilomètres, une série de hangars qui, presque sans interruption, couvrent la voie entière à travers la région des neiges de la sierra. Ces hangars ou abris-neige (snow-sheds) sont des constructions remarquables qui impriment un cachet particulier au tracé de la ligne du Centre.

Les neiges, dans les parties élevées de la sierra, couvrent le sol à des hauteurs qui varient de 3 à 12 mètres. Il fallait protéger la ligne ferrée contre l’invasion de pareilles masses, à moins de voir les communications interrompues durant tout l’hiver. Afin d’obvier à cet obstacle, on a construit des galeries et des hangars