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soustraits aux lois du pays et pris sous sa tutelle; il ne pouvait lui convenir de les laisser éternellement livrés à l’arbitraire des caporaux et des capitaines. Maintenant qu’avait prospéré l’œuvre qui n’avait été d’abord qu’un expédient improvisé sous la pression des circonstances, maintenant qu’on voulait la faire durer, il importait de régler par un ensemble de dispositions prévoyantes et précises la situation des personnes et celle des terres, les rapports des individus avec le gouvernement et entre eux, les relations de l’élément civil, qu’il était impossible d’expulser entièrement, avec l’élément militaire. C’était là, paraît-il, une entreprise malaisée, car, suivant un calcul qu’a fait Hietzinger, l’auteur d’un ouvrage intitulé Statistique des Confins militaires, de 1702 à 1803 plus de trente systèmes différens furent essayés sur la frontière et l’un après l’autre abandonnés. De toutes ces tentatives d’organisation, les mieux combinées et les seules qui aient laissé des souvenirs sont la « loi des confins » (Gränitz rechte) de 1704, le «système des cantons» (Kantons system) de 1783, et la « loi foncière des confins » de 1807 (Gränzgrandgesetz).

Les deux premières de ces ordonnances établissaient une distinction entre le soldat et tout ce qui n’appartenait pas à l’armée; le soldat lui-même, quand il n’était pas sous les armes pour un service commandé, n’était pas justiciable des conseils de guerre; pour tous les crimes et délits qu’il pouvait commettre, il rentrait dans le droit commun, et n’était pas soumis à la loi martiale. L’ordonnance de 1783, allant plus loin dans cette voie, instituait des autorités spéciales, indépendantes du chef de l’armée pour tout ce qui était justice, administration, économie et finances. Il était plus facile de décréter cette séparation de pouvoirs que de la faire passer dans la pratique. Accoutumés à voir leur moindre signe obéi d’un bout à l’autre de ce territoire qu’ils considéraient comme leur création et leur domaine propre, les officiers, du feld-maréchal au sous-lieutenant, ne pouvaient accepter de bonne grâce l’installation dans le pays, à côté d’eux, de ces employés civils qui les surveilleraient sans doute et les contrecarreraient, qui leur opposeraient des textes de loi, des chicanes d’avocat et des routines de bureau. Il y avait là le germe d’incessans conflits où le dernier mot devait toujours rester aux officiers : ceux-ci tenaient en effet toutes les familles par ceux de leurs membres qui figuraient sur les rôles. Si un soldat ou quelqu’un de sa parenté, sous un prétexte quelconque, ne craignait pas de désobliger le lieutenant ou le capitaine, de se prévaloir contre lui de quelque décision d’un de ces intrus, l’insolent ne triompherait pas longtemps : au prochain exercice ou à la première campagne, que le soldat se permît la moindre négligence, il paierait