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pouvoir central et quelles facilités chacun de ces groupes trouvait dans le droit public et les traditions de la Hongrie pour éluder l’application des lois régulièrement votées par les états du royaume. Parfois des comitats refusèrent de se soumettre à telle ou telle décision de la diète, et tinrent ainsi en échec tous les pouvoirs publics. Sans doute c’était là l’exception, et il faut reconnaître tout ce que le pays doit à ces assemblées de district où il a commencé son éducation politique; mais en tout cas l’autorité militaire ne pouvait guère admettre, dans ce vaste camp où elle avait tout réglé selon ses convenances, ce régime de libre, bruyante et souvent tumultueuse discussion: la discipline en eût trop souffert. D’autre part, on n’avait point ici une armée comme les autres. C’est une vie en partie double que celle de l’homme des confins. A certaines heures, il est soldat; en cette qualité, il doit l’obéissance passive à son chef, et ne peut avoir d’autre souci que l’honneur du drapeau. Le jour suivant, le voici redevenu époux et père; on dirait un paysan ordinaire, il a un ménage à nourrir et un domaine à soigner. Ces hommes, dont la situation se complique ainsi de devoirs qui semblent difficiles à concilier, ne peuplent pas à eux seuls le territoire des confins : il y a là des enfans, des vieillards, des jeunes filles, des femmes, des veuves; il y a des commerçans qui fournissent certaines denrées étrangères dont ne saurait se passer aucune société, toutes simples et rudes que soient ses mœurs; il y a des ecclésiastiques appartenant à diverses communions. On estime aujourd’hui à un peu plus d’un million d’âmes la population totale des confins; elle ne devait pas être moindre alors, car l’armée des frontières comprenait des corps qui ont cessé d’exister. Ainsi, au temps où les Turcs étaient encore maîtres de la Hongrie méridionale, on avait formé sur la Theiss et la Maroch des régimens qui furent supprimés en 1750; le long de la frontière moldo-valaque, en Transylvanie, il y avait des régimens de Hongrois, dits zeklers ou « gardiens, » qui se sont dissous d’eux-mêmes en 1848. On peut donc admettre ce chiffre d’un million pour cette population, cantonnée sur une étroite bande de terrain qui courait de l’Adriatique au renflement le plus oriental des Carpathes. Près des deux tiers de cette multitude étaient Slaves; venaient ensuite les Roumains sur la rive gauche du Danube, puis les Magyars. Une certaine quantité d’Allemands étaient compris dans les confins soit comme soldats, soit surtout comme officiers ou employés; mais ils ne formaient nulle part de groupe compacte. Les religions dominantes étaient le catholicisme et l’orthodoxie orientale; il y avait aussi des grecs-unis et quelques protestans.

Tels étaient les élémens très variés que l’autorité militaire avait