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reste malheureusement aucun vestige, nous ne les connaissons que par les réductions qui en ont été faites.

Ces premiers succès firent comprendre à Mercator qu’il était sur son véritable terrain, et il résolut dès lors de se vouer corps et âme au perfectionnement de la géographie, sa science de prédilection. Tout lui souriait. Marié à une femme qu’il aimait et père de six enfans, il trouvait des ressources plus que suffisantes dans les travaux qu’il exécutait de temps à autre pour les abbayes, les évêques et les grands seigneurs, tous désireux de posséder des plans de leurs domaines dressés par l’habile géomètre flamand. C’est au milieu de cette prospérité que vint le chercher la persécution. Le procureur-général du conseil de Brabant était arrivé à Louvain, muni d’une liste de quarante-trois bourgeois que l’on accusait d’hérésie, et Mercator figurait sur cette liste. Il se trouvait à ce moment à Rupelmonde, où il était allé recueillir la succession du curé, son grand-oncle. Le bailli du pays de Waas le fît arrêter et le mit au secret. Mercator crut d’abord à une méprise, car rien ne semblait motiver les mesures dont il était l’objet. Le curé de sa paroisse, Pierre De Corte, essaya d’intercéder pour lui auprès de la gouvernante des Pays-Bas; il ne réussit qu’à se rendre suspect lui-même. L’abbé de Sainte-Gertrude, conservateur des privilèges de l’université de Louvain, réclama la mise en liberté de Mercator en faisant remarquer qu’il dépendait de la juridiction de l’université, le recteur François van Son écrivit lui-même à la reine Marie; mais l’autorité d’un inquisiteur de la foi ne put rien contre la volonté bien arrêtée de trouver Mercator coupable. L’instruction du procès fut longue et minutieuse; l’absence complète de preuves fit enfin relâcher le prisonnier après quatre mois d’une captivité des plus dures.

Rendu à la liberté, il reprit ses occupations habituelles; mais les troubles religieux qui agitaient alors le Brabant et la Flandre le décidèrent à transporter ses pénates à Duisbourg, dans le duché de Clèves. Il prit une part active à l’organisation du célèbre gymnase de cette ville, qui fut fondé en 1559 et qui a célébré il y a dix ans son troisième anniversaire séculaire. Nommé peu après cosmographe du duc de Clèves, Mercator se vit entouré d’amis et comblé de faveurs; mais cette prospérité croissante portait ombrage à un ennemi qui se cachait dans l’ombre, et dont les calomnies, semées avec habileté, forcèrent Mercator à insérer dans la préface de sa Chronologie une protestation contre les perfides attaques de ce monstre d’Afrique (libyca bestia) qui cherchait à détruire son honneur, La protestation de l’infortuné géographe est d’ailleurs un modèle de mansuétude et de modération. « Quelque grand que soit le tort que mon calomniateur m’ait fait, dit-il, je ne lui ai jamais souhaité autre chose que de le voir devenir homme de bien. » L’enquête ordonnée par le duc de Clèves eut d’ailleurs pour résultat de démontrer