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« Vous êtes charmans ainsi, » s’écrie-t-elle en leur envoyant un baiser, et elle se sauve pour assister chez Mme de Cambri à un dîner de femmes où l’on doit parler comédie et toilettes.

La gaîté de Froufrou ne doit pas toujours durer. Valréas, qui devient de plus en plus sentimental, a fini par se déclarer, et Froufrou lui intime l’ordre de partir le soir même. Ce n’est pas sans regret pourtant qu’elle se montre aussi sévère. Aime-t-elle Valréas? A vrai dire, elle n’en sait trop rien elle-même; mais elle trouve que son mari s’occupe bien peu d’elle, et que dans son intérieur elle occupe une place bien petite, Louise une place bien grande. C’est Louise qui choisit la gouvernante de George, c’est Louise que son mari consulte quand il s’agit d’acheter une terre. Louise! toujours Louise ! Froufrou ne veut plus qu’il en soit désormais ainsi. Elle demande à son mari de reprendre la direction de sa maison. Sartoris accueille sa demande avec un sourire, et, voyant ensuite sa tristesse, lui fait cadeau d’une paire de chevaux. Elle veut embrasser son fils, il est sorti avec Louise. Son père vient la voir pour lui demander le modèle d’un chapeau de femme. Elle éclate en sanglots devant lui; mais il a hâte de se laisser convaincre qu’elle n’est qu’un peu nerveuse. « Tâche d’être heureuse, lui dit-il, car tant que tu es heureuse je ne suis qu’un père léger; si tu devenais malheureuse, je serais un père abominable. » De la tristesse. Froufrou passe bientôt à la jalousie. Elle devine rétrospectivement l’amour que Louise a eu jadis pour son mari, et, celle-ci venant de refuser un mariage très avantageux. Froufrou éclate en transports de fureur. Elle accuse formellement Louise de n’être venue s’installer sous son toit que pour lui ravir le cœur de son mari et pour reprendre petit à petit tout ce qu’elle lui avait abandonné. « Tu m’as pris ma maison, mon enfant, mon mari, s’écrie-t-elle à la fin, eh bien! garde tout. » Et elle s’enfuit sans vouloir dire où elle va.

Ces trois premiers actes sont désespérans pour un critique. Il n’y a guère qu’à raconter et à louer. Tout cela est vif, naturel, vraisemblable, plus profond qu’il n’y paraît au premier abord. On y trouverait la matière d’un très joli roman, et puisque MM. Meilhac et Halévy ont le talent si varié, ils devraient bien nous raconter à nouveau cette histoire de Froufrou qu’ils ont débuté par mettre en scène; ce serait pour eux l’occasion de se corriger eux-mêmes et de donner aux aventures de Froufrou un dénoûment moins tragique et moins banal. MM. Meilhac et Halévy ont eu recours en effet à un procédé théâtral fort usité de notre temps, que M. Sardou a inventé, et qui consiste à coudre à trois actes de comédie, souvent de farces, deux actes de pur mélodrame. Contre ce procédé pris en lui-même, je n’élève point d’objection radicale. Le tragique et le grotesque se mêlent assez souvent dans la vie pour qu’on puisse les mêler aussi sur la scène, et je n’ai pas beaucoup la superstition des genres et des divisions qu’on y reconnaît. Je sais bien que l’unité est la condition indispensable d’un chef-d’œuvre; mais vous ne vous