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plus vives à mesure que l’on avance. On peut en induire que pendant le XVIIe siècle, d’année en année, le régime militaire se constituait plus fortement, et gagnait du terrain le long de la frontière.

L’émigration des chrétiens soumis à la Porte contribua aussi à augmenter l’effectif de l’armée des confins. De tous ces Serbes qui quittèrent en foule avec leurs évêques la vieille Serbie, les environs de Prisren, et qui vinrent repeupler la Syrmie, horriblement ravagée dans les guerres du XVIe siècle, beaucoup entrèrent dans les troupes des confins. Une partie des confiniaires de la Slavonie descendent de ces exilés ; leur religion seule les distingue des Croates ; ils appartiennent à l’église orientale et relèvent du patriarche orthodoxe, qui réside à Carlowitz. Bien souvent aussi des haïdouks serbes ont trouvé un asile dans les confins, et fourni à ces troupes de braves soldats et de brillans officiers.

Un groupe d’émigrans qui a gardé plus longtemps son caractère distinct, c’est celui qu’on appelle les Clémentins, nom tiré de celui du chef sous lequel, au XVe siècle, ces Albanais quittèrent leur pays pour ne pas se soumettre aux Turcs. Ils se réfugièrent d’abord dans les montagnes de la Serbie ; puis, quand là aussi ils se sentirent serrés de trop près, ceux d’entre eux qui ne voulurent pas embrasser l’islamisme se dirigèrent vers la Hongrie, et ils y furent accueillis à la condition qu’ils se soumettraient au régime des confins. Ils ont formé auprès de Péterwardein une agglomération d’environ deux mille personnes, et ils y ont conservé presque jusqu’à nos jours leur langue et leur costume.

En 1699, la paix de Carlowitz rendit la Hongrie à l’Autriche, et fixa, à peu de chose près, la frontière austro-turque là où elle est aujourd’hui ; or un document officiel qui se rattache à ce traité pose déjà le principe qui est comme la clé de voûte de tout le système. « Les Gränzer ou soldats des confins, y est-il dit, doivent à l’état le service militaire en retour des terres dont ils ont la jouissance. » Une série de privilèges furent accordés à ces colons par différens décrets royaux ; sous condition pour les familles de fournir et d’entretenir un nombre déterminé de soldats, on les exempta de l’impôt foncier et de la plupart des contributions indirectes.

Dès lors le régime des confins existait dans ses parties essentielles. à s’agissait de faire vivre cette société nouvelle, formée d’élémens très divers que les circonstances et l’initiative de quelques chefs avaient ainsi constituée à côté et en dehors des provinces dont était censé dépendre le territoire des confins. Or toutes ces provinces, appartenant à la couronne de Hongrie, étaient divisées en comitats. On sait quelle large place était faite, dans cette organisation, à la volonté populaire ; on sait à quoi y était réduit le rôle du