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couvrir ces notes aiguës et vibrantes. Quand arriveront les maraudeurs, sur toute la ligne on sera prêt à leur faire accueil : s’ils attaquent les villages, chaque maison sera une forteresse où les femmes prendront part à la défense ; s’ils s’engagent dans les sentiers qui serpentent à travers bois, du fourré partiront des coups de feu qui jetteront le désordre dans leurs rangs. Une fois la frontière ainsi garnie d’une dense et belliqueuse population, filet animé et souple qui ne laisserait rien passer entre ses mailles, il devenait bien plus facile de tenir l’ennemi à distance.

Il y avait encore une autre raison pour que ce régime plût au conseil aulique et aux chefs militaires. Les souverains de l’Autriche étaient loin encore d’avoir conquis ce pouvoir despotique qu’ils s’arrogèrent plus tard; il fallait au XVIe et au XVIIe siècle compter avec les diètes provinciales : elles tenaient les cordons de la bourse. Or les diètes allemandes, qui ne se sentaient pas sous le coup d’un danger immédiat, et les diètes hongroise et croate, qu’indisposaient les allures des généraux autrichiens, faisaient souvent des façons pour voter des subsides. Ne serait-il pas bien plus commode d’échapper à toutes ces chicanes? Pour y parvenir, il suffirait d’avoir des soldats qui se nourriraient eux-mêmes du blé de leurs champs, de la chair et du lait de leurs troupeaux.

La nature spéciale du service imposé aux gardiens de la frontière, l’état du pays et l’étendue des terres vacantes, les besoins de la défense nationale, tout conspira donc à provoquer la fondation de ces colonies de soldats laboureurs; le développement en fut favorisé par l’esprit monarchique et militaire, qui y trouvait son compte. Nous manquons de détails sur la première phase du régime, celle où il s’ébauche; nous voyons seulement la diète de Croatie au XVIIe siècle élever souvent la voix contre les chefs de l’armée des confins ; elle obtient à plusieurs reprises la promesse toujours violée que soldats et officiers de ces corps se conformeront désormais aux lois du pays. On s’engage à placer ces troupes sous la haute direction du ban. Le ban est le premier magistrat national de la Croatie, le chef à la fois de l’administration et de la milice, une sorte de lieutenant-général du royaume; il est toujours pris dans les rangs de la noblesse croate, et son titre, cher au peuple, lui rappelle l’ancienne et glorieuse indépendance. Nous n’avons pas à dresser ici la liste de ces réclamations et des rescrits par lesquels les souverains accordent aux états une satisfaction illusoire; c’est un travail qu’ont fait les publicistes croates pour montrer qu’il n’y avait pas eu prescription du droit, que jamais la nation n’avait consenti à considérer le territoire des confins comme légalement détaché des provinces limitrophes. Il nous suffit d’indiquer que ces plaintes deviennent