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mesure 1 mètre 76 centimètres. En général, l’or et le vermillon sont prodigués sur les plafonds et les colonnes, et l’autel est tellement chargé de statuettes et d’ornemens, qu’on pourrait le prendre pour un étalage de revendeur.

Les offices m’ont paru régulièrement suivis, et j’ai souvent assisté à ceux du soir dans la pagode la plus voisine de notre campement. Les fidèles, à genoux devant une grande statue du Bouddha, écoutaient dans l’attitude du recueillement les prières lues par un bonze, y répondant eux-mêmes à de longs intervalles. Des cierges allumés éclairaient le temple, des bâtons odoriférans brûlaient aux pieds du dieu, et une charmante dentelle de fleurs tissée chaque jour par les enfans et les femmes, nappe élégante et parfumée, était suspendue devant l’autel. La cérémonie se terminait ordinairement par quelques notes de musique : les femmes frappaient sur un petit timbre de bronze, puis sortaient dans le préau et déposaient sur certaines pierres vénérées des fleurs, qu’elles arrosaient ensuite en murmurant des prières. Souvent aux fleurs elles mêlaient des grains de riz, et j’ai pu observer que les coqs du voisinage, habités peut-être par l’âme de quelques bonzes décédés en état de péché, avaient gardé de leur existence antérieure un souvenir très exact de l’heure de l’offrande. Outre les offices quotidiens, les Laotiens ont aussi des fêtes périodiques; nous avions déjà assisté à quelques-unes d’entre elles. Celles qui accompagnent le retour du printemps, et que nous avions vu commencer à Paclaï, se célébraient à Luang-Praban avec la solennité bruyante que comportent l’étendue de cette ville et le chiffre de la population. Naturellement, c’est la jeunesse qui y prend part. Le jour, pendant l’accablante chaleur, tout est morne, les Laotiens eux-mêmes souffrent de leur soleil; mais à peine ce redoutable ennemi des plaisirs a-t-il disparu derrière les montagnes de la rive droite du Mékong, que l’air se remplit de bruit, d’éclats de rire, de chants bizarres auxquels les chiens mêlent leurs aboiemens. J’ai eu la curiosité de m’associer de loin à ces réjouissances nocturnes. La lumière blanche de la lune jetait sur les portiques des pagodes, sur les pyramides, sur les toits de chaume, des teintes argentées; les cocotiers, les palmiers et les feuilles légères des buissons de bambous se découpaient sur un ciel pur, et, bien qu’aucune brise sensible ne vînt agiter l’atmosphère, tout cela tremblait devant moi comme un rêve, sans qu’il me fût possible de saisir les contours mouvans de ce tableau magique. Les nuits sont belles en Orient, et l’Orient n’est beau que la nuit; hommes et choses gagnent à n’être observés que par une lumière indécise; les paysages alors perdent leur monotonie, et les civilisations leur laideur.

Sous la voûte obscure formée dans le lointain par de grands arbres, une voix grêle, mais très perçante, lança tout à coup dans l’air