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la couronne de Dalmatie, de Slavonie et de Croatie à Ferdinand d’Autriche, roi de Hongrie depuis un an déjà, et frère du puissant empereur qui tenait tout l’Occident sous sa main. Dès lors, pendant près de deux siècles, jusqu’à ce que grandît la Russie, ce fut la maison d’Autriche qui eut à supporter le principal effort de la lutte contre l’invasion musulmane. Aussi les Turcs se sont-ils jetés deux fois sur Vienne avec toutes les forces de l’empire. C’est là qu’ils voulaient enfin étreindre et abattre cette puissance dont la patiente ténacité fatiguait et usait leur élan. Le contraire arriva; ce fut l’Autriche qui refoula de l’autre côté du Danube et de la Save la barbarie musulmane.

L’armée des confins fut un des plus utiles instrumens de cette résistance victorieuse. Il ne faudrait d’ailleurs pas s’imaginer qu’elle ait été créée de toutes pièces, un jour donné, par tel ou tel général; comme tout ce qui doit vivre longtemps, ce fut peu à peu qu’elle naquit et s’organisa, par l’effet des efforts obstinés et continus que firent les commandans autrichiens pour garnir et défendre la frontière. Déjà, avant la défaite de Mohacz, le roi Louis II, se sentant débordé par l’ennemi qui le menaçait des Carpathes à l’Adriatique, avait confié à son beau-frère, Ferdinand d’Autriche, qui lui succéda comme roi de Hongrie et de Croatie, ses places de Dalmatie; sous le règne de Ferdinand, le quartier-général des troupes autrichiennes fut établi à Warasdin, là même où était celui des deux régimens qui vont être bientôt licenciés. Depuis le milieu du XVIe siècle, les états provinciaux de l’Autriche propre votèrent à plusieurs reprises des fonds pour l’entretien de ce corps d’armée; en arrêtant les Turcs sur la ligne de la Save et de l’Unna, en pays slave, ils couvraient en effet les provinces allemandes et leur épargnaient les maux de la guerre. C’était d’ordinaire un archiduc autrichien qui recevait le commandement supérieur des confins, à titre de « généralat permanent et perpétuel (ewigesund immerwährendes generalat), » comme disaient les diplômes impériaux, et à la longue liste de ses couronnes et seigneuries le chef de la maison d’Autriche ajouta depuis cette époque le titre de « seigneur de la marche windique, » c’est-à-dire des frontières de la Croatie et de la Slavonie.

Les archiducs et leurs principaux officiers, établis ainsi comme représentans directs de l’empereur dans un pays qu’ils devaient souvent regarder comme barbare, y commandant des troupes en partie étrangères à la contrée, durent prendre aisément l’habitude de considérer le terrain occupé par leurs soldats comme formant une sorte de zone intermédiaire où eux seuls, responsables de la défense commune, avaient des ordres à donner; tout le long de cette frontière dont ils avaient la garde, ils s’accoutumèrent à se croire chez