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paralysé par la triste situation de son neveu, que les insurgés retenaient en otage, ne déployait pas une grande activité. Il affectait la sécurité : c’était, disait-il, un coup de main tenté par des brigands dont on aurait facilement raison; mais les péninsulaires, comme on dit à Cuba pour désigner les Espagnols, ne s’y trompèrent pas. Par les sentimens qu’ils éprouvaient pour les indigènes, ils avaient la mesure de l’antipathie qui existait contre eux à l’état latent. Ils savaient que l’indépendance de la grande Antille était le rêve mystérieux et chéri de tous les Cubains; ils étaient certains que le mouvement prendrait de la consistance, s’il n’était pas vivement comprimé. Ces hommes venus d’Europe avec l’espoir d’une rapide fortune entraient en fureur à la menace d’une révolution qui détruirait leurs plans d’avenir, qui les exposerait en même temps à des dangers personnels.

Les Espagnols entourèrent donc le gouverneur-général pour réchauffer sa tiédeur apparente. Ils le pressaient de constituer un corps de volontaires pour la défense de l’ordre établi. Lersundi accueillit ce concours. L’élan une fois donné par l’exemple de La Havane, les corps de volontaires, s’organisèrent d’eux-mêmes et très rapidement dans presque tous les centres de population. Les autorités pourvurent à l’armement. On affectait de dire que la domination espagnole ne courait aucun danger, appuyée qu’elle allait être par 25,000 hommes de troupes réglées et une vaste organisation comprenant 60,000 volontaires. Ce dernier chiffre était sans doute fort exagéré: il dépassait le nombre des péninsulaires ; il est vrai que ceux-ci, étant pour la plupart célibataires et presque tous dans l’âge viril, pouvaient fournir un effectif considérable relativement à leur nombre.

Toujours est-il qu’à La Havane il se forma une légion de volontaires de 8 ou 10,000 hommes, recrutés parmi les plus intéressés au maintien du régime espagnol. Si on veut connaître leur situation et leur attitude, qu’on se représente des conquéraj.is au milieu d’une race subjuguée où la révolte fermente. Les progrès de l’insurrection, difficiles à cacher, les sympathies pour les insurgés, évidentes parmi les créoles, ne tardèrent pas à exaspérer le zèle des volontaires. Se chargeant de la police, ils se substituèrent bientôt au gouvernement normal et dominèrent par la terreur. Le lieu de leurs réunions, le casino, devint une sorte de comité de salut public : ils prononçaient des confiscations, ils emprisonnaient des suspects, ils surveillaient les fonctionnaires et exigeaient la destitution de ceux qui ne paraissaient pas assez ardens; il leur arriva de tirer en pleine rue sur des groupes inoffensifs. Ces excès poussèrent à bout les créoles, fort mal disposés déjà contre les intrus venus d’Europe, Citons seulement, entre beaucoup de faits de même nature, un in-