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quées ; tout échange avec les étrangers leur était rigoureusement interdit; ils vendaient leurs produits exclusivement à la métropole, et celle-ci avait le privilège de leur vendre à des prix arbitraires tout ce dont ils avaient besoin, même les alimens, les vêtemens et l’outillage de première nécessité. Il a fallu céder au courant des idées et relâcher de temps en temps les entraves; mais on n’a pas abandonné le principe, et ce qu’il en reste suffit pour faire à la population des Antilles une situation gênée et précaire malgré son opulence apparente.

Au monopole absolu de la mère-patrie, on a substitué, à partir de 1820, un régime protecteur équivalant en beaucoup de cas à la prohibition. A l’importation, on distingue quatre classes de marchandises : produits espagnols sous pavillon espagnol, — produits espagnols sous pavillon étranger, — produits étrangers sous pavillon espagnol, — produits étrangers sous pavillon étranger. Le tarif est gradué de 7 1/2 à 33 1/2 pour 100 ad valorem, et la valeur est calculée suivant un tarif officiel ordinairement supérieur aux prix courans du commerce. Si un article étranger qu’on pourrait avoir pour 60 francs est tarifé 100 francs par la douane cubaine, il doit payer effectivement, non pas le tiers, mais plus de la moitié du prix d’achat. D’autres droits différentiels font obstacle aux exportations. Les taxes de navigation, ajoutées aux charges douanières, ont été également combinées de manière à paralyser les échanges avec l’étranger. En somme, les négocians de La Havane affirment que l’ensemble des droits ad valorem sur les produits étrangers monte en terme moyen à 70 pour 100. Il y a plus : sous prétexte de favoriser les colonies, on a exempté de tout droit certains articles de nécessité première, pourvu qu’ils fussent de provenance purement espagnole; tels sont la farine, le vin, les fers non ouvrés, les tissus de coton et de laine, le papier. Cette prétendue faveur n’est qu’un monopole constitué au profit de l’Espagne. Par exemple, il serait impossible d’introduire des farines américaines qui auraient à payer 3 piastres 1/2 (18 francs 90 centimes) par baril. L’absence de concurrence permet au négociant espagnol de placer des farines à prix surfait ou de qualité inférieure, quelquefois même d’introduire sous pavillon métropolitain les denrées achetées à vil prix à l’étranger.

Il n’est pas nécessaire d’insister sur les détails de ce système pour en montrer les effets; tout le monde sentira qu’il infligeait une double perte au producteur cubain. D’une part, son prix de revient était surchargé de toutes les surtaxes qu’il avait à payer quand il tirait de l’étranger ses matières premières, son outillage, ses meubles, ses vêtemens, sa boisson et jusqu’à son pain; la cherté de toutes ces choses réagissait en même temps sur le coût de la main d’œuvre. D’autre part, il rencontrait sur les marchés des États-Unis