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tion de Cuba, si le nombre des bras n’excédait pas de beaucoup celui qu’on accuse. En définitive, on est d’accord aujourd’hui pour évaluer la population totale de l’île à plus de 1,600,000 âmes, et il est probable que la classe dont on obtient le travail forcé compte dans ce nombre pour 6 ou 700,000 têtes. — Si nous avons insisté sur ce classement de la population, c’est qu’il est indispensable pour l’intelligence du conflit, qui ne tardera point à attirer l’attention de l’Europe entière.

Il faut donner en passant des indications de même nature sur Porto-Rico, qui suivra nécessairement le sort de Cuba. L’étendue superficielle de Porto-Rico est dix fois moins grande que celle de Cuba. La fertilité naturelle du sol y est à peu près égale; mais les industries agricoles y sont moins avancées. La population, relativement plus dense que celle de Cuba, doit approcher de 540,000 âmes, dont 300,000 blancs, près de 200,000 mulâtres ou noirs libres, et 40,000 esclaves. Cette île donne un éclatant démenti aux partisans de l’esclavage, qui ont toujours affirmé que la race européenne ne supporterait pas le travail agricole dans les régions équatoriales : on voit communément à Porto-Rico le blanc travailler dans les champs à côté du noir.

Ouvrez les statistiques officielles, vous y trouverez que Cuba renferme près de 1,500 sucreries munies de machines à vapeur, dont une cinquantaine réalisent les indications de la science européenne aussitôt qu’elles se produisent, que toutes les cultures, et surtout celle du tabac, sont en progrès, que l’île possède des chemins de fer[1] et des ports splendides, que son mouvement commercial est doublé depuis vingt ans, et qu’il approche aujourd’hui, entrées et sorties réunies, de 500 millions de francs. Cuba, ajoute-t-on, peut payer avec ses propres ressources un budget deux fois plus lourd, toutes proportions gardées, que celui de la France. Tout cela est exact numériquement, et produit une certaine fascination sur les étrangers ; mais il s’agit en définitive de savoir à qui profite cette prospérité et quel est en réalité l’état du pays.

L’ancien système colonial des Espagnols était tout d’une pièce. Chaque colonie devenait une propriété de la métropole absolument fermée aux étrangers. Les colons étaient exclus de tous les emplois civils ou militaires; ils ne participaient en rien à l’administration de la localité, ils n’existaient pas politiquement, ils ne pouvaient se livrer qu’aux cultures ou aux exploitations qui leur étaient indi-

  1. Les chemins sont en effet très multipliés à Cuba; mais ils ont été faits par l’initiative et aux frais de l’industrie particulière, qui s’est procuré des capitaux en Angleterre par voie d’emprunt. Loin d’assumer les dépenses de cette nature, le gouvernement espagnol a laissé les voies ordinaires en très mauvais état.