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La reine des Antilles a été vraiment privilégiée, et il n’a fallu rien moins que ses incroyables ressources pour résister à l’influence délétère du régime que l’Espagne lui a imposé jusqu’à présent. Le territoire de Cuba mesure 9,772,000 hectares : c’est une superficie à peu près égale à celle de l’Angleterre, moins le pays de Galles. Une étendue minime a été utilisée jusqu’ici; les neuf dixièmes au moins de ce riche domaine sont restés en friche. Une couche de terreau, inépuisable en quelque sorte, tant elle est épaisse, conserve au sol une telle ardeur que l’emploi des fumiers y est à peu près inconnu. Mettez au service de cette fécondité exubérante une main-d’œuvre illimitée, peu dispendieuse relativement, asservie sans résistance possible à toutes les combinaisons du capital, et vous réaliserez des merveilles de production. Qu’on en juge par un exemple. La fabrication du sucre à Cuba ne dépassait pas 15 millions de kilogrammes au commencement du siècle; elle donnait 136 millions vers 1830, et l’année dernière, récolte un peu exceptionnelle, il est vrai, elle s’est élevée à 703 millions de kilogrammes. C’est une production dépassant le tiers de tout le sucre que consomme le monde entier, même en y comprenant celui qui vient de la betterave. Dans la plupart des pays sucriers, on n’obtient un rendement satisfaisant que par la puissance des appareils perfectionnés, ce qui augmente beaucoup la main-d’œuvre. La supériorité de l’industrie cubaine au contraire tient à ce qu’elle n’a pas besoin de compliquer son outillage pour produire beaucoup. C’est le champ qui fait sa richesse et non pas l’atelier. Sa matière première, qui est la canne, étant très abondante et à meilleur marché qu’ailleurs relativement, on ne prend pas la peine de l’épuiser complètement; de là un travail plus simple et un prix de revient moins élevé. Il y a toutefois des domaines très soignés où l’on tire pour une étendue donnée le maximum du rendement connu, de 8,000 à 10,000 kilogrammes de sucre par hectare. Plusieurs autres articles de première importance, notamment le café, donneraient lieu à des résultats analogues, si la législation douanière n’y mettait pas empêchement[1].

On a reconnu des richesses forestières et minérales qui n’ont pas encore été utilisées. La production des alimens, autrefois interdite dans l’intérêt de l’agriculture métropolitaine, n’est pas entrée dans les habitudes, bien qu’elle pût donner lieu à des exploitations très lucratives. L’île nourrirait aisément huit fois plus d’habitans qu’elle n’en renferme. Les statistiques officielles, qu’il ne faut pas prendre à la lettre, lui attribuaient en 1860 une population d’environ 1 mil-

  1. Voyez, dans la Revue du 1er mai 1869, l’Espagne et l’esclavage dans les îles de Cuba et de Porto-Rico, par M. Augustin Cochin.