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L’INSURRECTION CUBAINE
CAUSES, INCIDENS, SOLUTION POSSIBLE.


I.

Le déchirement qui tend à séparer Cuba de l’Espagne est une crise pressentie depuis longtemps ; elle éclate dans les circonstances les plus malencontreuses, au moment où la société espagnole est pour ainsi dire en décomposition, où l’affranchissement des esclaves cubains, à moitié accompli de fait, doit être complété d’urgence. De cette coïncidence menaçante sortiront des désastres qu’un quart de siècle ne réparerait pas, si l’on n’écoute de part et d’autre que les conseils de l’orgueil et l’aveugle fureur des intérêts blessés. Au contraire, si la situation pouvait être étudiée sans parti-pris, si l’on cherchait avec calme et sagacité ce qui est praticable et ce qui est juste, il ne serait pas impossible d’arriver à un compromis qui adoucirait les meurtrissures de la transition, et finirait par porter profit des deux côtés.

L’opinion publique n’est pas suffisamment renseignée en Europe sur les causes vraies du soulèvement de Cuba. On l’attribue vaguement soit à des intrigues fomentées par les Yankees, soit à l’impatience qu’auraient les noirs de recouvrer leur liberté, soit à l’existence d’un parti politique ayant pour idéal les institutions de la grande république. Ce sont là des causes incidentes. Le vrai mobile de l’insurrection, la difficulté radicale, résident dans le maintien obstiné, à Cuba et à Porto-Rico, d’un régime colonial qui a créé de redoutables antipathies, qui est inconciliable avec les tendances actuelles des sociétés américaines, et que la force des choses condamne à disparaître.