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gardant, écoutant. On eût dit une assemblée d’esprits s’éveillant au coup de minuit. Le docteur apercevait à peine ses derniers auditeurs enveloppés dans les ténèbres. L’église apparaissait comme un espace sans fin. Cet auditoire si nombreux sembla redoubler son enthousiasme.

« — Vous tous, reprit-il, vous ne saviez pas cela comme moi, car aucun de vous assurément n’a étudié comme moi l’histoire de l’Allemagne dans toutes les pulsations de sa vie. C’était la tâche de ma carrière. Vous ne savez pas comme cette Autriche, avec le sang étranger qui coule dans ses veines, du sang slave, magyar, italien, espagnol, et à peine quelques gouttes de sang germanique paralysé, — vous ne saviez pas comme cette Autriche travaillait depuis des siècles à détruire l’indépendance de l’Allemagne! avec quel bonheur elle nous eût étouffés! comme elle y employait toutes ses forces! comme cela était devenu une science en Autriche : abaisser l’Allemagne du nord, humilier la Prusse, entraver son développement. Cela est évident aujourd’hui, l’avenir le fera voir d’une façon plus évidente encore. Et maintenant c’en est fait de ce régime odieux; maintenant nous sommes libres, car la liberté de l’Allemagne, c’est d’échapper à l’Autriche. Aussi (et en disant cela il se retournait vers Arthur), aussi quand vos escadrons passaient devant nous au galop et qu’un hourra sortit de nos poitrines, je sentis au fond de mon âme que, si nous perdions la bataille, l’Allemagne était perdue pour l’éternité!... Et nous l’avons gagnée! ajouta-t-il d’une voix qui commençait à défaillir!

« Un murmure emplit encore l’église, puis tout à coup retentit une clameur immense, un hourra formidable à faire crouler les murailles. »


La scène est belle et poétique, elle a obtenu un grand succès. Ces blessés, ces mourans, qui se réveillent dans l’ombre d’une vieille église pour saluer une dernière fois la délivrance de leur pays ont été salués à leur tour par les bravos de l’Allemagne du nord. On peut la noter comme un document; voilà bien l’état de l’esprit public à la veille de 1866, voilà de quelles dispositions morales a profité la Prusse. Il est vrai qu’avec le conteur prussien il faudrait entendre les conteurs et les poètes de l’Allemagne du midi. Tel écrivain du Wurtemberg ou de la Bavière, M. Maurice Hartmann par exemple, au nom de la liberté germanique, opposerait sans doute aux pages de M. Hermann Grimm des scènes tout aussi émouvantes. Bornons-nous à signaler ces vives peintures; au point de vue historique comme au point de vue moral, elles sont la meilleure conclusion de notre étude.

Qu’avons-nous vu en effet? Les ouvrages que nous avons interrogés ne sont certainement pas des chefs-d’œuvre. Quel que soit le mérite de M. Berthold Auerbach et de M. Levin Schücking, de