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jectif et le rien subjectif. Que ce rien soit le centre de tout, que nos meilleurs efforts ne soient rien, que le sang de notre cœur batte pour ce rien, c’est ce qui a rendu fou le disciple de Saïs, c’est ce qui m’a rendu fou à mon tour, c’est ce qui vous fera perdre aussi le peu de bon sens que peuvent contenir vos cervelles de linottes. Maintenant fermez vos stupides cahiers pour mettre fin à l’abominable grincement de vos plumes, et entonnez avec moi le chant profond et sublime : « une mouche! une mouche est là sur la muraille! » Là-dessus, élevant la voix, frappant la chaire à coups de poing, il avait entonné son chant, puis, courant le long des murs, cherchant à prendre des mouches imaginaires, chaque fois il avait ouvert la main et s’était écrié d’un air de triomphe : « Rien, messieurs, voyez!, il n’y a rien, absolument rien! » — La lettre qui renfermait ces détails, ajoute l’auteur, produisit sur Oswald la plus douloureuse impression. Pourquoi? Parce que sous les formes grotesquement navrantes de la folie il retrouvait là ses propres sentimens.

Au reste, les énigmes de ce livre s’expliquent dans un autre roman en trois volumes, qui est la suite et la fin du premier. Pour comprendre les Natures problématiques, il faut lire le récit intitulé: A travers la nuit vers la lumière[1]. Nous y voyons les mêmes personnages accompagnés de quelques figures nouvelles. Voici Oswald Stein, le brillant plébéien, voici Oldenbourg, le gentilhomme démocrate, voici le malheureux disciple de Schopenhauer, continuant d’enseigner la logique dans une maison de fous; le trio des natures problématiques est au complet. Voici Mélitta, Emilie de Bréezen, Hélène de Grenwitz, toutes les femmes qui ont aimé Oswald et qu’il n’a pas su aimer en honnête homme. Voici tous les hôtes de Grenwitz, tous les hobereaux insolens que M. Spielhagen et Oswald poursuivent de leurs sarcasmes. Seulement deux personnages nouveaux, deux acteurs fort inattendus apparaissent : un saltimbanque viennois, un prince russe, et il se trouve à la fin que le prince est fils du saltimbanque. On voit par cela seul dans quel mélodrame l’auteur nous a transportés tout à coup. A considérer ces deux romans comme les deux parties d’une même œuvre, ce sont des qualités de finesse qui rachètent l’obscurité de la première; une sorte de violence réaliste fait explosion dans la seconde. On me dispensera de raconter ces aventures impossibles. Il suffit de résumer les traits qui mettent à nu la véritable pensée de l’auteur.

Philosophiquement, j’avais bien raison de dire que le système de

  1. La langue allemande est ici plus brève que la nôtre, elle a même quelque chose de la concision latine. Durch Nacht zum Licht se traduit exactement par ces mots : per noctem ad lucem.