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comte Maximilien lui laisse le temps de prendre l’avance, puis il revient au château, appelle les gens d’alentour, joue parfaitement son rôle, raconta l’histoire à grand bruit, fait chercher le fugitif partout où il n’est point, et finalement, les choses une fois constatées, procède à l’enterrement du mort. Le comte André, le titulaire du majorât de Schönstetten, est bien décidément effacé du livre des vivans ; c’est sous son nom que le garde a été mis en terre. Que devient-il, tandis que son frère Maximilien prend sa place, hérite de tous ses droits, et, de cadet de famille à peu près déshérité, passe au rang de seigneur ? Il s’est réfugié en Amérique pour y vivre dans les bois : il chasse l’ours, le bison et vend les peaux des bêtes fauves. De plus en plus violent et sombre, il nourrit des ressentimens implacables. Il en veut au monde qu’il a été obligé de quitter, à la noblesse dont il s’est exclu par sa faute, à l’esprit de famille qu’il a si gravement offensé. Ceux qui connaissent ce singulier trappeur devinent en lui quelque chose d’aristocratique. On remarque aussi qu’il ne parle pas sa véritable langue ; il parle anglais, français, espagnol, mais d’une façon incorrecte et pénible. Évidemment il cherche à dissimuler son origine. Il fait d’ailleurs de bonnes affaires, il gagne de l’argent, son commerce de pelleteries lui procure des correspondans sur plusieurs points de la côte, et bientôt on voit près de lui un petit compagnon, un jeune gars joyeux, turbulent, hardi, qui s’épanouit en pleine liberté dans cette vie d’action et d’aventures. Cet enfant, c’est son fils, qu’il a fait venir d’Europe pour l’élever à sa manière.

Voilà le prologue de l’histoire que nous raconte M. Levin Schücking ; le sujet, c’est l’éducation du jeune Hugo, fils du comte André. Seulement le prologue n’apparaît qu’au milieu du récit, et le sujet que nous venons d’indiquer ne se dessine que vers la fin. Autour de cette donnée première se déroulent des imbroglios où le conteur s’amuse et s’oublie. C’est toute une série d’épisodes dont chacun pourrait former un roman. Il y a le roman du comte Maximilien et de sa fille Gérardine ; il y a le roman du gentilhomme pauvre, Émile de Hattstein, amoureux de Gérardine et précepteur du jeune Hugo ; il y a le roman des deux femmes du comte André, car le comte André était bigame, ou à peu près, quand le meurtre du garde l’obligea de fuir en Amérique. Il avait promis mariage à Mme de Hangfort, la mère du petit Hugo, et il avait épousé secrètement une jeune fille de race plébéienne, Ottilie Ramberg. Il y a aussi l’histoire de deux maisons de commerce qui se livrent à des opérations tout à fait imprévues ; on y voit par exemple un négociant insolvable se débarrasser de sa dette en cédant à la fille de son créancier le fiancé de sa propre fille. Cette dernière scène est une