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dans cette société moderne si complexe, si laborieuse, il n’y avait d’autre travail que celui de la pioche ou de la charrue. On lui reprochait d’ignorer le vrai peuple, le tiers-état, les centres où s’élaborent les idées, les foyers où s’agitent les sentimens et les intérêts qui mènent le monde. Pour répondre à ce reproche dans la mesure de son talent, le moraliste populaire n’a eu qu’à mettre à profit sa double expérience, c’est-à-dire à compléter ses tableaux rustiques par la peinture d’une résidence souveraine. Le roman fait comme l’auteur, il va du village à la cour et de la cour au village. Un roi du midi de l’Allemagne, la reine, les courtisans, les dames d’honneur, les ministres, çà et là quelques représentans de la bourgeoisie, tels sont les personnages qui rempliront toute une moitié du tableau ; l’autre moitié, c’est le village de la montagne.

Comment l’auteur a-t-il réuni dans une même toile des élémens si disparates? L’histoire est bien simple, le début même est d’une simplicité patriarcale. La reine vient de donner le jour à un prince. Les médecins de la cour sont en quête d’une nourrice pour l’héritier du trône, et il faut que ce soit la plus fraîche, la plus robuste paysanne de la contrée. La voici, toute fière du nouveau-né qu’elle a mis au monde, tout heureuse, tout épanouie, aussi honnête que belle. Dès que les médecins la voient, ils la reconnaissent : c’est bien là ce qu’ils cherchaient; mais Walpurga, — c’est le nom de la jeune mère, — l’honnête Walpurga, si heureuse de son petit foyer, si dévouée à son mari, si fière de son enfant, consentira-t-elle à tout quitter, pour vivre à la cour? Le sacrifice est dur; elle le fait cependant, car c’est une fortune que sa bonne chance lui envoie, et il faut songer à l’avenir. Elle part donc, non sans larmes; de ses montagnes sauvages, la voici transportée tout à coup au milieu de la société la plus brillante. Quel éblouissement ! on le devine sans peine; on devine aussi ce qu’un tel contraste fournira de traits piquans à une plume spirituelle et hardie. Walpurga est la franchise même; cette nature si simple, ce bon sens si droit, ce langage si original, dans le monde de l’étiquette et du formalisme, c’est là pour l’habile conteur une occasion de scènes tour à tour émouvantes ou comiques. Que sera-ce donc si Walpurga se trouve jetée sans le savoir en pleine tragédie? Une des dames de la cour, la belle comtesse Irma, inspire au roi une passion ardente, une passion qu’elle partage, et, malgré de nobles efforts pour se vaincre elle-même, elle finit par succomber. Or c’est auprès de la comtesse Irma que la jeune paysanne avait trouvé la plus sympathique bienveillance. Une sorte d’amitié s’était établie entre ces deux personnes si éloignées par l’éducation, si rapprochées par la noblesse du cœur. A l’heure où le scandale éclate, quand le père d’Irma en meurt de honte