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impartial de la grande mêlée qu’il met en scène ; l’autre est M. Hermann Grimm, talent aimable, esprit modéré, observateur attentif et consciencieux, qui porte dignement un grand nom. Ce n’est pas seulement par le soin du style que M. Hermann Grimm nous rappelle son père, le savant philologue Wilhelm, son oncle, l’illustre Jacob; quelque chose de l’inspiration si austère, si libérale des deux vénérables maîtres revit dans l’imagination honnête du jeune écrivain. Il y a même une page où le cri de l’Allemagne du nord à la journée de Sadowa éclate dans le récit de M. Grimm avec une singulière puissance. Tout cela veut être considéré de près; nous recueillerons, chemin faisant, bien des notes dont l’histoire contemporaine pourra faire son profit.


I.

Le premier roman que nous avons à signaler, une dramatique et touchante histoire intitulée Sur les hauteurs, est certainement l’œuvre maîtresse de M. Berthold Auerbach. On connaît depuis longtemps l’inspiration de M. Berthold Auerbach, le peintre des mœurs rustiques, l’ami et le conseiller des pauvres gens. Il n’y a pas d’écrivain plus populaire en Allemagne. Ses Histoires de village dans la Forêt-Noire, par lesquelles il a débuté il y a un quart de siècle, l’ont placé du premier coup au rang des maîtres. M. Berthold Auerbach était un démocrate, mais un démocrate idéaliste, si je puis ainsi parler, un démocrate moraliste et religieux, d’une religion, il est vrai, très particulière, puisqu’elle s’inspirait surtout du panthéisme de Spinoza. Qu’importe? Si le mot religion, dans son acception la plus large, signifie surtout le perfectionnement de la conscience, la purification continuelle de la personne humaine, le perpétuel effort de l’âme vers le divin, l’auteur des Histoires de village et de l’Ecrin du compère a été, malgré les erreurs de sa doctrine, un des plus religieux moralistes de l’Allemagne de nos jours. C’est ainsi que ce démocrate, sans cesser d’être cher à sa clientèle des campagnes, a conquis bientôt une clientèle d’un autre ordre. Le charme et l’élévation de ses œuvres lui ayant donné des amis dans les classes privilégiées, l’hôte des paysans de la Forêt-Noire est devenu peu à peu l’hôte des grands seigneurs et des princes. C’était bien toujours le même homme, sérieux autant que cordial au milieu des paysans, simple et franc parmi les heureux du monde. Il allait du village à la cour, de la cour au village, observant, enseignant, rassemblant les traits d’un tableau où figureraient les deux mondes qu’il connaissait si bien. Ainsi est né ce roman. On lui avait reproché de ne peindre jamais que le peuple des campagnes, comme si