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lemagne de 1830, M. Charles Gutzkow, donnait l’exemple de cette direction à la fois épique et encyclopédique du roman. Au milieu des agitations de ces vives années, il publiait un récit en neuf volumes, les Chevaliers de l’esprit, qui avait les proportions et les allures d’une épopée (1851); sept ans après, aux heures tristes de la politique allemande, aux heures de somnolence et d’engourdissement, il essayait de peindre l’état général de l’Europe dans un tableau où le catholicisme ultramontain occupait la première place; cette nouvelle épopée romanesque s’appelait le Magicien de Rome (1858). Beaucoup plus récemment, c’est-à-dire dans la période dont nous avons à parler, M. Gutzkow a mis au jour un récit intitulé Hohenschwangau, qui est un large tableau de l’Allemagne au temps de la réforme. Quel que soit le mérite de cette œuvre, c’est là du roman historique, genre un peu abandonné aujourd’hui, en Allemagne surtout, où les choses présentes attirent si vivement les conteurs. Ce n’est pas là d’ailleurs ce que nous cherchons en ce moment; allons droit aux écrivains qui nous font connaître l’Allemagne de ces dernières années. Encore une fois, tous les sujets ont été traités par les romanciers à la mode : morale, politique, esthétique, science même; oui, même la science et ses théories hasardeuses ont inspiré l’imagination des conteurs. C’est ainsi qu’un roman dont on parle beaucoup depuis quelques semaines est consacré... le croira-t-on? au système de Darwin sur la transformation des espèces. La lutte pour l’existence, tel est le titre de ce livre où M. Robert Byr a révélé des qualités dramatiques et soutenu pendant cinq volumes l’intérêt du lecteur.

Les écrits dont nous voulons parler offrent pourtant un intérêt plus naturel, plus direct, mieux approprié à notre tâche ; entre les compositions ambitieuses de M. Gutzkow et les tentatives bizarres de tel écrivain qui débute, il y a place pour les récits qui ont charmé l’Allemagne ou révélé ses agitations. Je m’en tiens à un petit nombre de romanciers qui me fourniront tous les renseignemens dont j’ai besoin. Deux d’entre eux, M. Berthold Auerbach et M. Levin Schücking, déjà connus par des œuvres justement appréciées, sont aujourd’hui dans la force de l’âge et du talent; ils représentent la génération littéraire antérieure à 1848. Les deux autres sont des nouveau-venus parmi nous; déjà célèbres dans leur pays par des qualités très diverses, ni leurs noms ni leurs œuvre n’ont encore pénétré en France. L’un est M. Frédéric Spielhagen, cœur poétique, âme ardente, qui retrace les conditions sociales de son temps avec une verve hardie, tour à tour psychologue pénétrant, écrivain dramatique, railleur amer, par-dessus tout imagination tumultueuse, et toutefois, malgré ses sympathies ou ses passions, peintre assez