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effréné, la débauche sceptique, la colère impie, l’abattement et l’inertie stupides.

C’est au milieu de cet abîme que venait retentir subitement un nouvel ordre de Charles XII, qui exigeait 10,000 hommes et 300,000 thalers; il lui fallait une diversion du côté de la Suède pour faire cause commune avec l’armée ottomane attaquant les frontières de Russie. Le sénat admira une fois de plus la parfaite indifférence et l’obstination de ce despote, qui taxait d’exagération et de mauvais vouloir tous les rapports sur l’état de la Suède. Cependant il était souverain absolu, jaloux de son autorité, opiniâtre à se faire obéir; le sénat, dépouillé par lui de toute action réelle et de toute force propre, avait, soit parmi les ambitieux, soit dans la population souffrante, de nombreux ennemis. Effrayé de sa responsabilité et désireux de la faire partager au pays lui-même, il convoqua pendant cette même année 1710 une diète qui, tout en respectant l’autorité royale, essaya de prendre en mains les affaires, de remettre un peu d’ordre dans les finances, de rappeler le roi et de lui faire accepter la paix.

Ce n’étaient là que les préludes des graves mesures qui furent tentées à Stockholm en 1713 et en 1714, quand Charles XII, s’obstinant depuis près de quinze années à ne pas rentrer dans son royaume, eut amené la Suède au dernier degré de misère, et lassé la patience du peuple le plus résigné et le plus dévoué. Voltaire n’a que très imparfaitement, il faut le dire, connu ces graves épisodes qui montrent tout un côté du caractère de Charles XII ; il en a trop peu parlé, et il a commis, quand il en parlait, certaines erreurs; il y a donc plusieurs motifs d’y insister.

Charles XII avait appris avec irritation que la diète s’était assemblée sans son ordre en 1710; les levées d’hommes et d’argent par lui prescrites n’avaient pas été faites, et la diversion promise aux Turcs ne s’était pas effectuée. Aussi envoya-t-il à Stockholm, avec une interdiction formelle de convoquer jamais sans lui les représentans de la nation, des lettres impérieuses où il accusait les sénateurs de tout le mal qui s’était fait, et parlait du jour prochain où il leur en demanderait un compte sévère. Cependant il prolongeait son séjour chez les infidèles; il faisait le kalabalik, il restait dix mois au lit, et, quand ces rapports étranges arrivaient en Suède, le peuple des campagnes n’y voulait pas croire; il accueillait bien plutôt ceux qui disaient que le roi était mort ou bien qu’il était fou, et que le sénat, pour conserver son autorité, cachait la vérité. En même temps les Russes achevaient, ville par ville, la conquête des principales provinces baltiques, et l’on craignait tellement de les voir débarquer dans l’archipel situé en avant de Stockholm, que