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A mesure que Charles XII s’enfonçait davantage en Allemagne, en Pologne, en Russie, ses demandes d’hommes et d’argent arrivaient plus fréquentes. Comme cependant les provinces suédoises étaient sans cesse menacées par des diversions ennemies, il devenait très important de garder des troupes suffisantes pour protéger les frontières, et très difficile d’obéir aux ordres du roi, qui ne se préoccupait que de détrôner le roi de Pologne. L’interruption du commerce par la guerre et la piraterie, le chômage de la culture par le manque de bras, le délabrement des finances, rendaient presque impraticables les expédiens que le sénat essayait d’ajouter aux impôts extraordinaires, aux contributions volontaires ou forcées. L’épuisement de la population devint tel que les dernières levées ordonnées par Charles XII ne purent se faire sans des émeutes quelquefois sanglantes, et n’ajoutèrent aux régimens suédois que des hommes trop vieux ou trop jeunes, des malfaiteurs qu’on tira des prisons, ou même des Danois et des Russes, naguère fait prisonniers, et qu’on trouvait dur d’être obligé de nourrir inactifs en Suède. Le sénat, malgré son zèle, malgré ses efforts pour instruire Charles XII de la misère de ses peuples, pour le ramener en Suède et le faire renoncer à ses projets insensés, devenait impopulaire et même odieux par l’exécution des mesures qui lui étaient imposées. A tant de causes de ruine s’ajoutèrent les fléaux naturels. L’hiver de 1708-1709, si cruel dans toute l’Europe, fut suivi, en 1710, d’une peste, causée apparemment par les massacres et la misère que la guerre de la succession d’Espagne et les guerres de Charles XII avaient partout propagés. Partie de la Galicie et du sud de la Pologne, cette peste envahit toute la Suède occidentale; à Stockholm, pendant les mois d’été et d’automne, le ciel ne cessa d’être voilé par un brouillard immobile et tiède, sans un seul rayon de soleil, sans pluie et sans gelée. La fumée, au lieu de se perdre dans l’atmosphère, s’enroulait et se traînait sur le sol, que couvrait une imperceptible vermine. Les oiseaux avaient fui, le bétail périssait. Le fléau s’accrut en novembre et décembre, jusqu’à ce qu’enfin, pendant la nuit précédant le jour de Noël, la première gelée de la saison se produisit; le lendemain, à onze heures du matin, le cruel brouillard se dissipa presque subitement; le soleil, qu’on n’avait pas aperçu depuis six mois, brilla de tout son éclat, et au bruit des cloches, au retentissement des chants religieux dans tous les temples, la population en deuil accueillit l’espoir d’une délivrance. La Suède, déjà dépeuplée par tant de maux, avait perdu par la peste pendant ces quelques mois plus de 100,000 âmes. Stockholm et les principales villes avaient eu le triste spectacle des désordres de tout genre qu’entraînent après eux la démoralisation et le désespoir. On avait vu sévir le crime