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enflées par l’extrême fatigue. Il n’avait ni linge ni habits : on lui fît une garde-robe en hâte de ce qu’on put trouver de plus convenable dans la ville. Quand il eut dormi quelques heures, il ne se leva que pour aller faire la revue de ses troupes et visiter les fortifications. Le jour même, il envoya partout ses ordres pour recommencer une guerre plus vive que jamais contre tous ses ennemis. »

À ces parties narratives de son sujet, Voltaire, bien entendu, excelle; mais, — nous touchons ici à notre objection la plus grave, — ne passe-t-il pas trop entièrement sous silence ce que Charles XII lui-même oubliait trop : la situation intérieure de la monarchie suédoise, c’est-à-dire la ruine progressive et lente de l’édifice élevé par Gustave-Adolphe et Charles X, surtout l’incroyable misère, les souffrances de toute sorte, l’anarchie et le désespoir qui affligeaient ses peuples? Sur toute cette histoire lamentable. Voltaire n’a que quelques lignes çà et là. Dira-t-on, sur la foi de son titre, qu’il s’est proposé seulement d’écrire l’histoire de Charles XII et non l’histoire du règne? Mais alors pourquoi ces digressions sur l’état général de l’Europe, sur l’histoire des siècles précédens, sur le climat et les mœurs de la Suède, sur la constitution de la Pologne et les causes de son anarchie, sur la barbarie des Russes et les premiers efforts de Pierre le Grand? Il est tout simplement probable qu’il n’a pu se procurer des informations suffisantes sur le triste état de ce pays abandonné. Les écrivains du Nord n’ont eux-mêmes reconstruit de nos jours cette histoire intérieure qu’à l’aide des procès-verbaux peu complets que rédigeaient encore soit le sénat, soit les administrations diverses. Qui niera cependant que cette page de plus ne soit d’importance pour aider à comprendre le caractère de Charles XII, et pour aider à juger, en même temps que lui, les rois conquérans et absolus, ses pareils? Une telle étude, faite en détail par M. Fryxell, est d’une haute et sérieuse moralité.

Quand Charles XII, en 1700, quitta sa capitale pour n’y plus jamais revenir, ce fut le sénat qui dut servir d’organe à l’autorité royale, et à qui fut confiée presque toute l’administration. Toutefois Charles se promettait de ne lui laisser aucune initiative. Tandis que Charles XI, que la révolution légale de 1680 dispensait de consulter ce corps, avait cependant continué cette salutaire pratique, son fils se contenta de recevoir les avis du sénat et de les transmettre à son favori et seul vrai ministre, le comte Piper, qui le plus souvent prenait seul ou dictait au roi la résolution. La représentation nationale, c’est-à-dire la diète, composée des députés des quatre ordres, fut entièrement mise en oubli; seulement, pour se donner sans doute une apparence de légalité, on investit quelques-uns de ses fondés