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s’était construite à Varnitza, un siège en règle contre l’armée ottomane. Il avait avec lui 300 soldats suédois, qui furent faits prisonniers presque sans coup férir dès l’attaque des retranchemens. Il se défendit alors dans son unique maison avec une soixantaine d’hommes contre 1,200 Turcs et 12 canons. Le combat dura neuf ou dix heures ; on se battit corps à corps ; Charles tua de sa main une dizaine d’ennemis. Quant à son propre danger, il ne fut réel, bien qu’il ait été blessé, que trois ou quatre fois, quand tout près de lui des janissaires, voyant tomber leurs camarades, cédaient au sentiment de la vengeance. On avait recommandé à ces vieux soldats de l’épargner et de le prendre vivant, si cela était possible. Ils avaient pour lui d’ailleurs une sorte de respect superstitieux. Aussi leurs canons tiraient-ils en l’air, et ce ne fut un vrai combat que de la part des Suédois et de Charles lui-même, qui y apportaient une sorte de fureur. L’étrangeté de la scène, la bizarre obstination du héros, sa réputation de courage et de vertu militaire, enfin le remords d’avoir à violer à l’égard d’un tel étranger les lois de l’hospitalité, tout cela contribuait à contenir l’ardeur des janissaires, qui craignaient d’atteindre ce singulier ennemi. Le souvenir de cette journée est encore aujourd’hui vivant chez les Turcs, bien que la légende l’ait transformé. A la place où était son camp, on voit de nos jours une sorte de tertre recouvert de gazon. Le paysan turc raconte à sa manière l’histoire de Charles le Suédois, Schwetzky Koroll. Sous le tertre, dans une voûte remplie de ses trésors, vit la fille de Charles; elle garde tout cet or, et elle attend son fiancé; quand il viendra, ils s’en iront tous deux, avec ces énormes richesses, rejoindre le roi, qui continue de vivre en Suède et de régner sur ses braves Suédois.

On comprend que le courage déployé par Charles XII pendant le kalabalik n’avait fait que doubler l’admiration des Turcs envers lui. Aussi lorsque, pendant l’année qu’il passa encore chez eux, il s’obstina à rester dix mois au lit, pour éviter de laisser paraître l’extrême dénûment où il était réduit, beaucoup des principaux habitans sollicitèrent et obtinrent des officiers qui l’entouraient de venir le contempler à travers un paravent dont il s’enfermait. On dit que le sultan lui-même, dont il ne voulait pas d’audience, eut recours à ce moyen. On sait comment il quitta enfin la Turquie et traversa l’Allemagne avec un seul compagnon, tantôt sur un cheval boiteux et rétif, tantôt à pied, tantôt dans la paille sur une charrette, en plein mois de novembre 1714, à travers lèvent, la neige et la pluie. Quand il arriva aux portes de sa forteresse de Stralsund, en Poméranie, « il y avait seize jours qu’il ne s’était couché : il fallut couper ses bottes sur les jambes, qui s’étaient