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voyant Toulon menacé par les alliés, tenta un nouvel effort auprès de Charles XII : celui-ci avait promis d’observer la neutralité; toutefois, mal disposé envers l’Autriche, il fit dire secrètement au duc de Savoie, Victor-Amédée, l’un des principaux alliés, que, s’il contribuait pour sa part à la prise de Toulon, Charles prendrait ses dispositions pour le priver de tous les avantages que la récente campagne venait de lui assurer. Le message produisit son effet, et le duc, sans qu’on s’en aperçût autour de lui, sut faire manquer les opérations du siège, au grand détriment de ses confédérés. — Louis XIV avait jadis, au temps de la paix de Nimègue, fait frapper une médaille qui représentait la Suède protégée par l’ombre des ailes du coq gaulois. Charles XII à ce moment y opposa une médaille représentant le coq et les lis protégés par le lion couronné qui figure encore aujourd’hui comme symbole de la couronne de Suède.

Les résultats de sa principale faute n’en commençaient pas moins à se développer. Pendant qu’il ravageait pendant six années la malheureuse Pologne, son ardent rival Pierre Ier ne restait pas inactif. Les garnisons commises à la garde des provinces suédoises au sud-est de la Baltique étaient braves, mais clair-semées et trop peu nombreuses. Dès l’automne de 1702, Pierre s’empara de la petite ville de Nöteborg, qui commandait la Neva à la sortie du lac Ladoga. Au mois de mars 1703, pendant que les glaces empêchaient qu’on la secourût par la Baltique, il prit l’autre ville suédoise de Nyen, située à l’embouchure du fleuve. Ce fut pour défendre cette place que, peu de semaines après, la marine russe commença de paraître sur la Baltique. Pierre ajouta pendant la même année à ces premiers succès la conquête de l’Ingrie, jadis enlevée par Gustave-Adolphe aux Russes. Il disait de cette province comme il est dit dans le livre des Macchabées : « Nous n’avons point usurpé le pays d’un autre, et nous ne retenons point le bien d’autrui; nous avons repris l’héritage de nos pères, que nos ennemis avaient injustement possédé pour quelque temps. » Telle était la devise inscrite sur une carte de l’Ingrie déployée aux yeux de tous lors de son entrée triomphale à Moscou. Nyen avait été conquise le à mai 1703; le 17 fut posée tout près de là, sur les îles mêmes que forme l’embouchure de la Neva, la première pierre de Saint-Pétersbourg. On a comparé avec raison Pierre le Grand au grand Condé, qui jeta, dit-on, son bâton de commandement au plus épais des rangs ennemis pour l’y aller reprendre avec la victoire. De même Pierre Ier jeta les fondemens de sa capitale en plein territoire suédois, sûr qu’il était de savoir l’y maintenir et l’y défendre. Le sol même était à conquérir sur les inondations et les marais; 100,000 hommes y furent amenés de gré eu de force; à la fin de l’été, un fort bien construit y était entouré