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son costume traditionnel, grosses bottes de peau de buffle, tunique de drap bleu à boutons de cuivre, tête nue par tous les temps, il entraînait à sa suite le roi de Pologne détrôné, redevenu simple électeur de Saxe, et qui n’en portait pas moins des habits brodés couverts d’or, de perles et de pierreries. Il apparaissait en Allemagne comme un autre Gustave-Adolphe, lorsqu’il allait visiter le champ de bataille de Lutzen, et souhaitait, après avoir vécu comme Gustave, de rencontrer une mort semblable à la sienne, ou bien lorsqu’il se rendait à Wittenberg et s’agenouillait au tombeau de Luther. Pour qu’il eût alors tous les genres de triomphe, la belle Aurore Königsmark renouvela auprès de lui sa tentative en faveur d’Auguste II et échoua de nouveau. Dix princes, trente envoyés des cours étrangères, visitèrent son camp. Les Hongrois révoltés l’invoquaient contre l’Autriche. De plusieurs parties de l’Allemagne, on le pressait de reprendre l’œuvre de Gustave-Adolphe et de protéger le corps germanique contre les envahissemens de la France. La grande voix de Leibniz elle-même en exprimait l’espoir. D’un autre côté, la France, elle aussi, essayait de l’attirer vers elle en s’autorisant du souvenir d’anciennes et intimes relations; Louis XIV, malheureux dans sa guerre de la succession d’Espagne, lui demandait de venir joindre à Nuremberg le maréchal de Villars, afin d’assurer comme autrefois la domination de l’Allemagne aux forces réunies de la Suède et de la France. On représentait à Charles XII que l’Autriche avait secouru le roi Auguste contre lui, que de plus elle maltraitait les protestans de Silésie sans respect pour les dispositions de la paix de Munster, dont la Suède était garante. Il fut même question, vers la fin de 1706, d’un projet suivant lequel, pour répondre à ces griefs, Charles exigerait que la couronne impériale appartînt alternativement à un prince catholique et à un prince protestant; ceux qui répandaient ce bruit y ajoutaient, bien entendu, la perspective d’un Charles XII empereur d’Allemagne. S’il eût alors, de concert avec la France, déclaré la guerre à l’Autriche, la marche des événemens changeait pour l’Occident et le centre de l’Europe.

Ce qui prouve bien quel était l’intérêt de cette question aux yeux des cours, ce fut, en avril 1707, la venue du duc de Marlborough lui-même au camp d’Alt-Ranstadt avec une lettre autographe de la reine Anne et de grosses sommes d’argent pour obtenir de Charles XII et de ses conseillers l’abandon de tout projet hostile à l’Autriche et de tout concert avec la France. Marlborough s’aperçut tout d’abord que sa mission était inutile et sa cause gagnée d’avance, Charles ne songeant en réalité qu’à une chose, c’est-à-dire à châtier le tsar comme il avait châtié le roi de Danemark et le roi de Pologne. Deux mois après, en juin 1707, Louis XIV, accablé par les revers, et