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siège de Riga, mais qu’il voulait à tout prix faire détrôner par les Polonais eux-mêmes, pour le remplacer par Stanislas Leczinski. Voltaire n’a pas dit que le roi Auguste, effrayé de la double victoire de Copenhague et de Narva, peu confiant dans ses alliés les Russes, avait offert de traiter avant d’éprouver quelles intrigues en Pologne même s’agiteraient pour son vainqueur, et avant de recourir à l’inutile intervention d’Aurore Königsmark. Voltaire n’a pas marqué combien ce moment fut décisif dans l’histoire de Charles XII ou même dans l’histoire de l’Europe en face des progrès envahissans de la Russie. Si Charles XII, au lendemain de Narva, eût accepté la paix avec le roi de Pologne, l’armée suédoise, au lieu de se diviser pour essayer vainement d’un côté de tenir en respect le tsar Piette, et de l’autre pour achever la ruine d’Auguste II, aurait pu réunir toutes ses forces contre la Russie et l’empêcher de faire ce premier pas en avant, cette première conquête d’un rivage sur la Baltique, qui fut le point de départ de sa future grandeur. Les motifs de cette résolution funeste que prit Charles XII de faire déposer le roi Auguste, résolution dans laquelle il persista opiniâtrement toute sa vie, furent sans nul doute l’entraînement de ses premiers et étonnans succès, l’ivresse du pouvoir absolu, la rigidité d’une volonté intraitable. Il paraît bien qu’il faut y ajouter, ce que Voltaire n’a pas marqué non plus, une réelle indignation contre la mauvaise foi et les mœurs légères du roi Auguste. Au moment même où celui-ci concluait son alliance contre la Suède avec le Danemark et la Russie, il conviait le représentant suédois accrédité auprès de lui à des entrevues secrètes et nocturnes, comme pour négocier un traité avec Charles à l’insu de la Russie. Or Charles XII se disait et se croyait l’instrument de la justice divine pour châtier les violateurs de la parole donnée. Il écrivait à Louis XIV, en lui exposant la conduite de son adversaire, qu’une telle bassesse devait nécessairement attirer la vengeance céleste. En vain Louis XIV le détourna-t-il de cette guerre, sauf à l’y exciter ensuite, lorsqu’il dut craindre que la ligue formée contre la France n’invoquât son secours; en vain, de concert avec ses meilleurs conseillers, d’autres cours le pressèrent-elles de conclure la paix avec le roi de Pologne : il n’eut pas de repos qu’Auguste n’eût été détrôné par ses propres sujets.

Son séjour dans le château d’Alt-Ranstadt, en Saxe, fut ainsi le vrai moment de son plus éclatant triomphe, contenant en germe ses malheurs futurs. Ses volontés, quoique excessives, avaient été accomplies; tout avait cédé à ses armes. C’était pour les soldats et le peuple un spectacle émouvant que le contraste de sa rude simplicité avec le luxueux appareil des diplomates ou des princes qui venaient à son audience : il émerveillait les témoins quand avec