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Carlscrona le 24 juillet pour le commencement de l’expédition, celle-ci avait duré quinze jours et non pas six semaines. — Qu’importe tout cela? dira-t-on que ce soient des erreurs sérieuses et portant quelque atteinte aux vrais mérites de l’historien?

De la légende de Charles XII, Narva forme la seconde page. On a raconté bien souvent, et les Suédois, malgré le contraste des temps, sont fiers de rappeler encore la mémorable scène du 21 novembre 1700, lendemain de la bataille, alors que 10 ou 12,000 Russes défilèrent devant 6,000 Suédois en mettant bas les armes et en déposant aux pieds de Charles XII leurs drapeaux et enseignes. Ces malheureux vaincus étaient tellement terrifiés, bien que les vainqueurs, outre leur petit nombre, n’eussent plus ni pain ni munitions, qu’à peine leurs armes jetées à terre ils s’enfuyaient à toutes jambes, se pressant comme un troupeau sur un pont où aboutissait le chemin; le pont céda, et ils se noyèrent en grand nombre. C’est là une de ces journées qui, restées dans le souvenir des peuples, expliquent la reconnaissance de la Suède envers Charles XII.

Le 25 juillet 1700, Charles avait traversé le Sund pour aller mettre fin en quelques jours à la guerre de Danemark; en octobre de la même année, il avait traversé la Baltique, et le 20 novembre battu les Russes à Narva; le 9 juillet de l’année suivante, il remportait au passage de la Dwina une autre victoire sur les troupes du roi de Pologne, et le forçait à renoncer au siège de Riga. Onze ou douze mois lui avaient suffi pour triompher de ses trois adversaires. Alors commence son plus grand éclat; il semble qu’il ne lui reste plus de ses primitifs excès d’activité, de vigueur physique et d’énergie que de quoi mériter l’admiration des hommes. Aux vertus militaires il en joint d’autres encore : on exalte dans toute l’Europe sa sobriété exemplaire, sa sévérité pour lui-même en même temps que pour ses soldats, sa piété, son mépris des plaisirs, son respect de la parole jurée, sa haine du mensonge. Rarement il prendra ses quartiers d’hiver dans les villes, dont il redoutait les jouissances pour ses soldats; non-seulement les heures des prières et des offices sont rigoureusement observées dans son camp, mais une parole impie et tout acte d’indiscipline y sont sévèrement punis. Il semble que le roi de dix-huit ans, austère et intrépide, ait dépouillé tout souvenir du prince de quinze ans, qu’on avait vu indisciplinable et fantasque. Nous ne devons pas toutefois nous y laisser tromper : par ces vertus mêmes, le génie de la guerre le possède et va l’entraîner.

De la fin de 1700 à l’automne de 1707, Charles XII ne fut occupé qu’à poursuivre son troisième ennemi, le roi de Pologne, électeur de Saxe, qu’il ne se contentait pas d’avoir forcé de renoncer au