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splendeurs de Versailles allaient être dépassées. En novembre 1699, on engagea une troupe de comédiens français qui représentèrent, avec les chefs-d’œuvre de Molière et de Corneille, tout ce que notre scène avait consacré. Les représentations continuèrent sans interruption tout l’hiver, et Charles s’y montra obstinément assidu.

Ainsi quand l’absolutisme royal se traduisait en Occident par les débauches d’un Charles II d’Angleterre, par le cérémonial abêtissant d’un Philippe III et d’un Philippe IV d’Espagne, par le raffinement de Versailles, encore voisin d’une brutale grossièreté, — car on se rappelle, au milieu du luxe orgueilleux de notre cour, les sauces de Mme Panache, les princes et princesses recevant à leur garde-robe, et Louis XIV jetant à la renverse, par manière de plaisanterie, les fauteuils et les dames, — le nord nous imitait : il empruntait nos excès, sur lesquels il enchérissait encore avec son reste de barbarie. Auguste, le roi de Pologne, faisait montre de sa force herculéenne et cassait un fer à cheval avec ses mains; Pierre le Grand faisait mieux : il décapitait lui-même, de suite et sans s’arrêter, quatre-vingts strélitz, à la force du bras. Charles XII traduisait donc à sa manière tout un côté des mœurs de son temps quand il inaugurait son règne par la désobéissance aux ordres de son père et par de violens caprices ou des fêtes coûteuses. Par là surtout, c’est-à-dire comme signes généraux du siècle et comme annonces des malheurs qui allaient suivre, ses commencemens ont été, disions-nous, vraiment sinistres. Ce ne sont pas seulement ici jeux ordinaires de princes et erreurs de jeunesse, et il ne suffit pas de reconnaître, comme fait Voltaire, que « les premiers temps de son administration ne donnèrent point de lui des idées favorables. — Il parut, ajoute l’historien, qu’il avait été plus impatient que digne de régner. Il n’avait à la vérité aucune passion dangereuse, mais on ne voyait dans sa conduite que des emportemens de jeunesse et de l’opiniâtreté. » Ne faut-il pas répondre à Voltaire que c’était bien la passion dangereuse, cette volonté arbitraire et fantasque n’admettant ni scrupule, ni résistance, ni limites, et qui, après s’être manifestée sous diverses formes, loin de disparaître, subsista pendant tout le règne et en fit tous les désastres, étant devenue la passion de la guerre? Au démon de la guerre qui l’inspirait tout entier, Charles allait sacrifier, pour un peu de gloire éclatante au début, les intérêts les plus sacrés de son peuple, la sécurité de sa couronne, et finalement sa vie.

Ce ne fut pas lui toutefois qui chercha la guerre; elle s’offrit à lui. Dès son avènement, un vaste complot de ses voisins le menaçait. Le XVIIe siècle avait été pour la Suède, sous Gustave-Adolphe, Christine, Charles X et Charles XI, une époque d’incomparable puis-