Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un aspect tout d’aménité, de sympathique douceur et presque de galanterie. Il a, en écrivant à la sœur de son cœur, comme il dit, des accens délicats et tendres, sauf à reprendre vivement possession de lui-même, si on le presse trop. « La sœur de mon cœur m’a écrit qu’elle avait entendu parler de mon prochain mariage; mais je veux me rappeler sans cesse que je suis marié à mon armée, dans les bons comme dans les mauvais jours, à la vie et à la mort... D’ailleurs il est défendu parmi nous de se marier. »

Avec tant de sources d’informations qui nous sont ouvertes aujourd’hui, lettres de Charles lui-même, correspondances empruntées à notre dépôt des affaires étrangères, récens travaux des savans suédois, ne pouvons-nous pas essayer d’émettre avec preuves un jugement à quelques égards définitif sur le Charles XII de Voltaire? Nous avons dit qu’il n’était pas équitable, à notre avis, de traiter ce livre avec dédain; il faut justifier ce que nous avons avancé. Nous avons reconnu qu’on pouvait y signaler des lacunes et des erreurs; quelles sont-elles, ou du moins de quel genre sont-elles? Voltaire a-t-il ignoré ou incomplètement rendu plusieurs traits importans du tableau qu’il voulait peindre? A-t-il mal jugé le caractère soumis à son étude, et la figure de son héros nous apparaît-elle aujourd’hui différente? Ce caractère et ce règne de Charles XII occupent une place fort importante dans l’histoire générale. Il s’agit du moment précis où d’étranges fautes politiques ont fait grandir subitement la puissance moscovite; il s’agit en même temps d’un saisissant exemple pour aider à juger s’ils sont de vrais grands hommes, ces conquérans batailleurs qui laissent après eux tant de ruines et tant de sang versé, tant de misères et de larmes. Le héros et son historien nous intéressent également, et nous les pourrons suivre tous les deux à la fois.


II.

Entre les mérites qui distinguent l’Histoire de Charles XII de Voltaire, celui qu’on remarque tout d’abord est évidemment la brièveté. Comme cette brièveté est précise, élégante, lumineuse et non pas rigide ni obscure, elle est par elle-même un des charmes du livre. C’est elle qui permet au lecteur de suivre aisément la marche bien ordonnée du récit et d’en recueillir l’impression dans sa vivante unité. Toutefois c’était pour l’auteur un péril, et peut-être ne faudra-t-il pas s’étonner si quelques parties semblent avoir comporté, sinon exigé, qu’il y insistât davantage. Par exemple dès le commencement, après une introduction sur le climat de la Suède et ses précédens rois, Voltaire a quelques pages seulement sur l’édu-