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peu d’attention à ce qu’il appelle une guerre de satires et de chansons ; le cardinal de Retz a un regard plus profond et plus sûr quand il dit au prince de Condé : « Dieu seul subsiste par lui-même. Il y avait autrefois entre la royauté et le peuple un milieu ; le renversement de ce milieu nous a jetés dans un chemin bordé de toutes parts de précipices. Mettez-vous à la tête des cours souveraines, et vous réformez l’état peut-être pour des siècles. » En quelques mots, voilà la formule précise où se résume tout ce que le parlement, sans peut-être en avoir conscience, avait hasardé de hardies réformes. À la place des états-généraux, c’est-à-dire de la représentation nationale, que nos rois laissaient dans l’oubli, le parlement réclamait des droits politiques. S’il avait réussi, la royauté rencontrait une barrière légale, la France obtenait un gouvernement constitutionnel, nos destinées étaient changées peut-être. Voltaire, qui regardait ailleurs, ne paraît pas avoir distingué nettement ces traits essentiels de notre histoire. À d’autres égards cependant quelle juste vue et quelle équitable appréciation des grandes choses ! Dépositaire de quelques-unes des traditions les plus hautes de l’esprit français au XVIIe siècle, comme il en a compris la majesté sans en adopter les préjugés ! Un des grands mérites de son Siècle de Louis XIV est précisément d’avoir ramené au juste point l’opinion qui déviait, et d’avoir revendiqué contre les illusions d’une trop courte perspective l’éclat solide d’un glorieux règne.

Une règle essentielle de la critique ordonne à l’historien de rechercher avant tout, sur un sujet donné, la tradition contemporaine et vivante. Voltaire n’a eu garde de la négliger, ni pour son Siècle de Louis XIV ni pour son Charles XII. On vient de voir comment il rechercha les informations écrites des officiers et agens qui avaient pris part aux guerres ou aux négociations de cette époque ; il faut y ajouter ses nombreux entretiens avec de hauts personnages qui devaient être fort éclairés et bien instruits, non pas seulement avec le roi Stanislas lui-même, partial peut-être dans sa propre cause, mais avec le maréchal de Saxe, ce célèbre fils du rival de Stanislas, Auguste II, avec lord Bolingbroke, la duchesse de Marlborough, le comte de Croissi et bien d’autres. Il suffit de feuilleter son livre pour s’assurer de la diversité de rapports qu’il a soigneusement réunis. Il est vrai que depuis lors de nouveaux documens contemporains se sont produits. Certaines correspondances diplomatiques, par exemple celle de Campredon, notre chargé d’affaires à Stockholm pendant le règne de Charles XII, ont été étudiées dans nos archives ; l’auteur de cette étude a lui-même publié jadis une série de lettres jusqu’alors inconnues, même en Suède, et que Charles XII avait adressées à sa sœur, Ulrique-Éléonore. Le roi de Suède s’y montre sous