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Cette affaire en son temps fit scandale; on l’a trop oubliée depuis, et il est bon de la remettre en lumière. Il s’agit en ce moment pour la Grande-Bretagne, dans le domaine industriel, de mener à bien un siège laborieux et difficile auquel personne ne s’attendait. Ces moyens de succès, ce sont de loyaux produits. D’obscures falsifications réalisées au bénéfice d’agens subalternes peuvent faire perdre à la nation entière cette décisive bataille commerciale. Que la presse multiplie les informations, les découvertes, qu’elle démasque toutes les fraudes. Rien ne pourrait être plus dangereux que des atténuations ou des réticences inspirées par un faux respect humain. Dans un pays où, en mettant à part les plus nobles familles, toutes les positions élevées, toutes les fortunes, sortent de la Cité, il y a comme une conspiration générale pour pallier les maux de ce genre. Le Times lui-même interrompt son éloquent réquisitoire, comme s’il avait dessein de se faire pardonner les fortes vérités qu’il contient, pour proposer timidement quelques excuses à la conduite des grands fabricans. Ils sont bien obligés d’obéir, insinue-t-il, aux ordres formels qu’ils reçoivent des négocians et des commissionnaires dont les commandes alimentent leurs métiers. On n’est jamais forcé de se prêter à des manœuvres déloyales, et à ce jeu l’on perd son honneur commercial, quand même on prendrait la précaution de ne pas apposer son estampille sur des produits douteux. Que les usines refusent catégoriquement de fabriquer des marchandises de mauvais aloi, elles pourront reconquérir ainsi une partie de leur clientèle, et dans tous les cas faciliteront la surveillance qu’il semble urgent d’organiser sur les agissemens d’intermédiaires trop pressés de s’enrichir. Même à ces conditions, l’Angleterre reprendra-t-elle sa situation non-seulement prépondérante, mais unique, comme nation industrielle? Cela n’est guère probable.

En résumé, ce n’est point d’un mal de circonstance, c’est d’une question de vie ou de mort qu’il s’agit ici pour la filature britannique. Sa position dans le monde est compromise. Elle a en elle des élémens dangereux. Le sentiment trop vif de la supériorité de leur patrie, la persuasion qu’ils n’avaient aucune concurrence à craindre, ont fait oublier parfois à ses hommes d’affaires que tout commerçant qui se respecte doit compter non-seulement avec ses rivaux, mais avec sa conscience. Ils ont ébranlé ainsi leur vieille réputation. Quand les mauvais jours sont venus, l’édifice déjà lézardé de leur puissance a mal soutenu le choc. En outre le moment était arrivé où toutes les nations voulaient entrer à leur tour dans cette lice mal gardée. Cette transformation économique qui est en train de renouveler la face du monde, c’est la Grande-Bretagne qui en a res-