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ressources une pareille réforme priverait la colonie pour l’exécution de travaux publics urgens et précisément relatifs aux développemens de la culture cotonnière, routes, irrigations, desséchemens; on n’aperçoit pas trop le bénéfice que les ouvriers de la métropole en retireraient. Ce n’est pas le fabricant qui exporte; ce n’est ni à lui ni à ses auxiliaires que profiterait la suppression des droits. Elle servirait à enrichir les nombreux agens qui servent d’intermédiaires entre le producteur anglais et les acheteurs indiens.

Pour ce qui est de la théorie d’après laquelle il faudrait voir dans les traités de commerce l’origine de toutes les vicissitudes de l’industrie britannique, on ne peut guère la considérer, ainsi que le fait M. John Bright lui-même, que comme une sorte de machine de guerre dirigée contre la politique du cabinet, et il n’est pas surprenant que l’éloquent défenseur du libre échange réfute avec quelque impatience les attaques virulentes dont son principe favori a été l’objet. Il est moins aisé de penser comme lui lorsqu’il essaie de déterminer à son tour la cause de la crise. Un mal aussi violent doit venir de plus loin et avoir des ramifications plus profondes qu’il n’a l’air de l’imaginer. Est-ce ainsi que se présente d’ordinaire un malaise passager, dû à des circonstances fortuites et prêt à disparaître avec elles? Ne verrait-on pas au contraire éclater en ce moment les effets lentement aggravés de toute une situation économique, des conditions modernes de la concurrence internationale sur le terrain industriel, de l’ensemble des habitudes et des mœurs commerciales qui ont cours de l’autre côté du détroit ? L’industrie de la Grande-Bretagne ne serait-elle point par hasard sur une pente de décadence? Voilà ce que la masse du peuple anglais se demande avec une anxiété légitime. L’instinct public, plus clairvoyant que les théoriciens quand il s’agit d’un grand intérêt national, comprend ce qu’il y a d’insuffisant dans les explications qu’on lui donne. La question mérite d’être examinée de près : nous allons tâcher d’en exposer d’une manière équitable et complète tous les élémens; mais, afin d’indiquer les vrais remèdes aux souffrances présentes, il est nécessaire de montrer l’enchaînement des faits qui les ont déterminées, et pour cela de reprendre les choses d’un peu haut.


I.

S’il est un moment où la disette du coton aurait dû faire pousser des cris d’alarme, c’est en 1860, au début de la guerre de sécession américaine. Du jour au lendemain, la source à peu près unique d’où l’on retirait la précieuse fibre se trouvait tarie. On n’était nullement préparé à un pareil événement; la pénurie ne pouvait être