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qu’un ministère qui a les mains garnies peut traiter sous jambe son parlement. Aujourd’hui le gouvernement a de fréquens besoins d’argent, et il ne peut s’en procurer sans l’agrément des hommes aux deux âmes. On sait qu’en Prusse la chambre n’a qu’un droit incomplet de voter l’impôt : à proprement parler, elle ne vote que le budget des dépenses, la constitution renfermant un article 109 qui déclare que tous les impôts, une fois consentis, continuent à être perçus indéfiniment ; mais s’agit-il d’en établir un nouveau, les nationaux-libéraux profitent de cette occasion pour dire : — Donnant, donnant. Nous vous voterons des fonds, si en retour vous nous accordez quelque chose, et par exemple la suppression de cet article 109, qui rend toutes nos libertés illusoires. Concédez-nous le droit absolu de budget, nous vous promettons d’être coulans. — Ce marché n’a guère de chances d’être accepté. Le roi, dit-on, a juré qu’on lui couperait plutôt la main droite que d’obtenir de lui la suppression de l’article 109. Comment serait-il disposé à renoncer à la moindre de ses prérogatives ? En 1866, il a eu raison contre tout le monde. Six semaines après Sadowa, quand la victoire ouvrait tous les cœurs à la conciliation, il répondait à la députation de la chambre chargée de lui remettre l’adresse qu’il avait dû gouverner pendant plusieurs années sans budget voté par le parlement, que ce qu’il avait fait alors, il avait dû le faire, et qu’il le referait le cas échéant. — Il est bon d’être tout à fait constitutionnel, et nous sommes ici très forts sur ce chapitre, disait un jour le roi Léopold. Le roi Guillaume est très constitutionnel aussi, il pratique avec une parfaite sincérité sa constitution telle qu’il l’entend, et il croirait manquer au premier de ses devoirs, s’il permettait que le droit divin cédât à ce qu’il appelle la pression parlementaire. — Les libéraux, comme on peut croire, n’ont pas meilleur jeu avec M. de Bismarck. Il n’est pas homme à redouter un conflit, bien qu’il ait déclaré un jour qu’il verrait avec regret le conflit devenir en Prusse une institution nationale et permanente. On raconte que, lorsqu’il était à Saint-Pétersbourg, il s’était amusé à apprivoiser un jeune ours, lequel avait ses entrées dans son salon, mais finissait toujours par grogner et prendre des privautés désagréables. Alors M. de Bismarck le saisissait à bras le corps, le secouait vigoureusement, le réduisait au silence et le mettait à la porte. « Voilà, disait-il en riant, comme il faut traiter les assemblées parlementaires. » Aujourd’hui encore, quand l’ours libéral grogne, il s’entend à le secouer, et quand son parlement sollicite des extensions de pouvoir, il lui oppose, non le droit divin, mais les droits du génie. « Le parlementarisme, dit-il, serait le règne du dilettantisme, et les dilettanti sont des bousilleurs qui gâtent les affaires. » Tel Paganini remettant à sa place un petit