Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/295

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
289
LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

des finances malades à guérir, un déficit à combler, des procès politiques à expédier, des journaux à saisir et de petits Francfortois à exporter ?

Le malheur de la situation est que le gouvernement prussien, fùt-il animé des sentimens les plus sages et les plus pacifiques, fût-il décidé à s’en tenir au statu quo, à laisser dormir indéfiniment la question du Mein, serait forcé de se garder le secret. Il est possible qu’il veuille résolument la paix et qu’il n’y ait en ce moment plus de question allemande ; mais il ne peut le dire. Il est des désirs qu’il ne peut ouvertement contrarier, il est des espérances qu’il ne peut décourager ; il lui est interdit de rassurer l’Europe, de la délivrer de ces visions de bataille, de ce cauchemar intermittent qui trouble ses digestions. Si puissant que soit un gouvernement, il est obligé dans un pays comme la Prusse de compter avec les partis, avec leur tenace obstination. Si M. de Bismarck venait dire un jour hardiment à la chambre prussienne : « Il est bon d’être conséquent avec soi-même et d’accepter la logique des situations. En 1866, nous avons profité de nos victoires pour agrandir la Prusse, et nous avons fait aux petits états du nord des conditions telles que les états du sud ont abjuré pour longtemps tout désir de faire ménage avec nous. Nous sommes contens de ce que nous avons fait, et peu nous importe ce qu’en pense l’Allemagne. Nous sommes Prussiens, nous faisons de la politique prussienne. Nous ne savons ce que nous réserve l’avenir ; mais rien ne presse, et dans l’intérêt de la paix de l’Europe nous nous déclarons satisfaits. Aussi bien la besogne ne nous manque pas : nous avons à digérer nos annexions, à mortifier et à mater les petits états nos confédérés pour les rendre mangeables, car il est écrit qu’un jour ou l’autre nous les avalerons ; mais l’Europe peut se rassurer, nous acceptons pleinement la paix de Prague et la limite du Mein… » Une telle déclaration soulèverait un tolle général, et la Gazette nationale pousserait des cris de fureur qui feraient voler en éclats toutes les vitres de la Wilhelmsstrasse.

Le parti national-libéral exerce par sa force numérique et par la considération dont jouissent ses chefs une véritable puissance. Après le roi, son ministre et la chambre des seigneurs, c’est en Prusse le quatrième pouvoir de l’état. En parti qui compte parmi ses coryphées des hommes tels que MM. de Forckenbeck, de Bennigsen, Miquel, Twesten, Lasker, de Bunsen, ne le cède à aucun autre en Europe pour l’honorabilité personnelle, pour les lumières et les talens ; il renferme des orateurs, des jurisconsultes, des administrateurs, nombre d’esprits distingués et de caractères au-dessus de tout soupçon. Ce qu’on peut reprocher aux nationaux-libéraux leur