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LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

La France, en 1866, n’était pas prête, et il lui est permis de le regretter ; mais du moment qu’elle ne voulait ni ne pouvait faire la guerre, il faut convenir qu’elle s’est tirée avec honneur des embarras où l’avaient engagée ses fausses prévisions. — « On est singulièrement injuste à Paris envers le gouvernement impérial, nous disait un homme d’état allemand que nous avons déjà cité. Après tout, la France n’a pas eu besoin de faire avancer un seul régiment sur le Rhin, et sa parole a eu assez d’autorité pour se faire écouter. Elle a arrêté la Prusse sur le Mein par un mot, elle a sauvé la Saxe par un mot, plus tard elle a ôté le Luxembourg à l’Allemagne par un mot. » Non, il ne peut être question en tout cela ni d’affront à venger ni de défaite à réparer ; il s’agit seulement d’un mécompte sur lequel on serait bien aise de ne pas rester, aujourd’hui qu’on est prêt. On s’imagine en Allemagne que le gouvernement impérial serait heureux de trouver dans quelque grande entreprise hors de ses frontières un dérivatif à ses difficultés intérieures, en sorte qu’après avoir rendu à la France la liberté de parler et d’écrire pour se faire pardonner les échecs de sa politique étrangère, il chercherait à engager une partie au dehors pour lui faire oublier qu’elle s’est mise en tête de se gouverner elle-même. Une conduite si incohérente, si décousue, si hasardeuse, nous paraît peu vraisemblable. L’empereur Napoléon est un esprit trop grave, trop réfléchi, pour ne pas se rendre compte des conséquences de ses actions. Ses ennemis croient remarquer dans sa conduite des indécisions et des tâtonnemens auxquels il n’avait point accoutumé l’Europe. Peut-être en faut-il chercher la raison dans l’importance qu’ont acquise récemment en France les questions de personnes, et qu’elles ne pouvaient avoir alors qu’une dictature qui croyait en elle-même se chargeait de vouloir et de décider pour tout le monde. Le jour où le pouvoir personnel abdique, le jour où le gouvernement d’influence est substitué au gouvernement d’autorité, il faut trouver des hommes, et l’empereur, comme tous les politiques à étoile qui ont beaucoup vécu avec leurs idées et cherché en eux-mêmes le secret du destin, tâtonne et se trompe souvent dans les questions de personnes, — on étudie mal ce qui semble indifférent ; — mais sur les choses il ne peut hésiter, et il est difficile de croire qu’il n’ait pas une vue nette de l’avenir qu’il est en train de préparer à son pays et à lui-même. En France, au XIXe siècle, le pouvoir personnel ne peut avoir qu’un temps ; l’empereur a voulu profiter du délai qui lui était accordé pour accomplir cinq ou six grandes entreprises qui devaient donner à son règne un caractère et en être en quelque sorte la signature. Il a réussi dans la plupart, les autres lui ont manqué dans la main, et l’échéance, hâtée par ses échecs, l’a surpris avant qu’il eût exécuté tout son programme. Toutefois il ne peut ignorer que les situations sont plus