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Waterloo ; c’est aujourd’hui la fantaisie de beaucoup de Français de prétendre qu’ils ont été vaincus à Sadowa. On ne saurait prendre plus franchement le contrepied de cette fameuse circulaire qui déclarait que la France voyait dans l’agrandissement de la Prusse l’accomplissement des destinées et de la philosophie de l’histoire. La vérité se trouve entre ces deux extrêmes ; c’est pousser d’un côté trop loin la rage d’avoir été battu, de l’autre la fureur d’être content de soi. La France n’a sujet ni de se couvrir la tête de cendres, ni de se féliciter d’une situation qu’elle n’a point voulue, qu’elle a subie, et dont les obscures conséquences se dérobent encore au calcul. On ne saurait nier que le gouvernement impérial s’est trompé dans ses pronostics, qu’avec toute l’Europe il s’est abusé sur la véritable force de la Prusse, que malgré certains avertissemens, malgré les inquiétudes du ministre qui occupait alors l’hôtel du quai d’Orsay et qui condamnait la politique expectante, il a voulu garder toute sa liberté d’action dans la prévision d’une guerre longue, indécise, qui promettait à la France les avantages d’un glorieux arbitrage, dont elle comptait s’acquitter avec une habile modération. Il est peu probable qu’à Biarritz M. de Bismarck ait rien promis, parce qu’il est peu probable qu’on lui ait rien demandé ; celui qui demande se lie comme celui qui accorde, et la politique impériale entendait se conserver libre de tout engagement. Comment ne pas songer à ce Memnon qui conçut un jour le projet insensé d’être parfaitement sage ? La parfaite sagesse des Tuileries avait compté sans les succès foudroyans de la Prusse. Ses calculs furent confondus, son jeu fut bouleversé, et l’arbitre qui attendait son heure dut se borner à enrayer le char triomphal du vainqueur. Il est regrettable que la France ait après coup réclamé à Berlin une compensation. Mécontent d’avoir servi malgré lui une politique qu’il blâmait et dont il avait prévu l’issue, M. Drouyn de Lhuys essayait d’en revenir à la sienne, à ce système d’arrangement gradué qu’il avait conseillé, et qui consistait à dire à la Prusse : Si vous prenez peu, nous ne demanderons rien ; si vous prenez beaucoup, nous réclamerons notre part, La Prusse avait assurément beaucoup pris ; mais on en était réduit à lui demander bien peu. Était-ce la peine de s’exposer à l’affront d’un refus ? M. Benedetti, qui avait si habilement rempli son rôle à Nikolsbourg, se voyait condamné à le gâter, et sans doute il lui en coûta beaucoup d’obéir. On assure que M. de Bismarck lui offrit avec une grâce parfaite Genève, un morceau de Belgique, ce qui lui attira cette réponse : Ces pays sont-ils donc à vous ? Sur quoi l’ambassadeur français partit pour Paris et s’en alla demander à son gouvernement s’il voulait la guerre et s’il était prêt, regrettant apparemment de n’avoir pu commencer par là.