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LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

nent de la Russie ; il n’y a de guerre populaire au-delà de la Leitha que celle qui pourrait enrichir l’Autriche de dépouilles russes, du moins la fortifier contre les intrigues panslavistes de Saint-Pétersbourg. M. de Beust est tenu d’observer dans tous ses agissemens une extrême circonspection ; on l’a accusé plus d’une fois, non sans aigreur, de nourrir des ressentimens, des rancunes, des idées de représailles et de revanche ; on lui a reproché l’activité un peu inquiète de sa plume, également habile aux coquetteries et aux picoteries ; on lui a fait un crime de ses démangeaisons d’écrire, et on a feint de croire que ses dépêches allaient tout brouiller, que la paix de l’Europe était à la merci d’une épigramme finement aiguisée. « M. de Beust, a dit quelqu’un, est un grand ministre doublé d’un journaliste qui finira par le compromettre. » Nous ne voyons pas que jusqu’ici le ministre ait à se plaindre du journaliste, et que cette plume si vaillante, qui eut toujours les honneurs de la guerre, ait gravement compromis la politique autrichienne. On se plaît à croire à Berlin que l’Autriche est une ruine, le rêve d’une ombre, comme dit Pindare. Il est naturel qu’elle saisisse toutes les occasions de se rappeler au souvenir de ses amis et de ses ennemis, de dire son mot dans les questions qui les intéressent, de leur faire connaître ce qu’elle veut et ce qu’elle ne veut point, et de prouver qu’elle existe, que le fantôme parle et marche. M. de Beust a déclaré dans une dépêche célèbre que désormais l’empire des Habsbourg ne prendrait pour règle de sa conduite ni ses souvenirs, ni ses regrets, ni même ses sentimens, qu’il ne consulterait en toute rencontre que les intérêts de sa sûreté et de son influence dans le monde. Souffrir que l’Inn devînt un fleuve prussien serait pour l’Autriche un renoncement à l’existence. Il lui est bien permis de prévoir que, pour accomplir son rêve, la Prusse sera obligée de nouer certaines intrigues, de rechercher certaine alliance, de signer certaines promesses, qui d’un coup mettraient d’accord Autrichiens et Hongrois, de telle sorte que des deux côtés de la Leitha tout le monde s’entendrait à vouloir la guerre. Sa politique n’est pas ce système d’indifférence auquel la voudraient condamner ses ennemis ; c’est une politique expectante. Elle ne peut qu’attendre l’occasion ; il ne dépend pas d’elle de la créer.

La France est-elle plus libre que l’Autriche de provoquer la guerre ? L’amour réfléchi de la paix est aujourd’hui une disposition dominante en France, témoin les dernières élections et les discours des candidats à leurs électeurs. On ne saurait nier cependant que, de toutes les guerres que pourrait faire la France, celle qui deviendrait le plus facilement populaire serait une campagne contre la Prusse. Autrefois un philosophe français affirmait, aux applaudissemens de son auditoire, que la France n’avait pas été vaincue à