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néanmoins y régner en maîtres absolus, nous n’aspirons qu’à l’hégémonie, à laquelle nous avons droit par ce que nous sommes et par ce que nous avons fait. Nous prouverons que les Prussiens sont des Allemands, comme nous avons prouvé, en refusant de nous agrandir, que nous n’affections pas la tyrannie. Nous savons que dans toute l’Allemagne règnent deux sentimens également forts, également légitimes, le sentiment national et un attachement traditionnel au self-government. Nous savons aussi par l’exemple de la petite Suisse, qui depuis la réforme de son pacte se compose de cantons souverains très libres chez eux et cependant très étroitement unis, qu’il est possible de créer une constitution fédérative où le pouvoir central ait une force réelle sans entreprendre sur la souveraineté des états. Nous allons chercher avec les gouvernemens nos confédérés cette forme politique qui convient à l’Allemagne, et nous nous occuperons avec eux de faire la part de notre légitime influence, celle de l’indépendance des états et celle de la liberté des peuples, après quoi nous soumettrons notre projet à un parlement national. »

Si le cabinet de Berlin, par impossible, avait tenu ce langage, et qu’il se fût empressé de donner des gages de ses dispositions pacifiques et de son libéralisme, la Prusse, forte de son désintéressement, du prestige moral qu’elle en eût recueilli et du concours unanime de l’Allemagne, aurait eu ce grand avantage de pouvoir prendre tous les arrangemens que lui dictaient ses convenances sans avoir à traiter avec un tiers. Elle eût représenté très courtoisement à la France que le règlement des affaires allemandes était une question purement intérieure, que, renonçant à toute acquisition de territoire qui aurait pu compromettre l’équilibre européen, elle avait le droit de réformer la constitution de l’Allemagne avec le concours et selon les vœux des Allemands. Il n’eût pas été impossible, pensons-nous, de persuader le cabinet des Tuileries. Un homme d’état allemand d’un esprit fin et sagace, et qui déplore les fautes commises à Nikolsbourg, nous disait un jour : « L’empereur Napoléon est un homme moderne qui parle napoléonien, et il goûte toutes les idées modernes moyennant qu’on lui traduise dans sa langue celles qui lui pourraient être désagréables. » N’était-ce pas faire un usage vraiment moderne de la guerre que de se servir de la victoire la plus décisive qui ait été remportée depuis les temps de Marengo et d’Austerlitz, non pour accroître son territoire, mais pour étendre et fortifier son influence ? Cela peut très bien se traduire en napoléonien ; cela s’appelle combattre pour une idée, mettre son épée au service d’une grande cause nationale et de la souveraineté des peuples. Il est vrai qu’un accroissement d’influence n’est pas un résultat aussi net qu’une annexion ou une conquête, et c’est un