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LA PRUSSE ET L’ALLEMAGNE.

nous servir de l’expression d’un grand diplomate prussien d’autrefois, que sous le nom d’alliance on affectait l’empire, et que par empire on entendait l’absorption. Depuis que la Prusse a pris le Hanovre, les états secondaires savent ce qui les attend, et c’est pour cela que l’unité de l’Allemagne n’est pas encore un fait accompli, que la Bavière et le Wurtemberg s’affermissent d’année en année dans ce qu’on appelle à Berlin leur particularisme. Le cyclope fit sans doute à Ulysse une faveur singulière en lui promettant qu’il serait mangé le dernier ; mais c’est la fantaisie de certaines gens de tenir à n’être pas mangés du tout. C’est aussi la fantaisie des Bavarois et des Souabes.

L’Europe eût été bien étonnée si à Nikolsbourg la Prusse avait tenu le langage que voici : « Nous ne réclamons pour prix de notre victoire que le droit de régler les affaires d’Allemagne avec le concours et l’assentiment des Allemands. Hormis les provinces que nous avons conquises sur le Danemark, et qui sont nécessaires à notre marine, à notre légitime influence dans la Baltique, nous ne réclamons pas un pouce de terrain. Nous avons pris les armes pour tirer l’Allemagne et nous-mêmes d’une situation fausse qui devenait intolérable. Le premier devoir d’un état est de vivre, et l’Autriche s’appliquait à nous rendre la vie impossible. Nous n’avons rien entrepris, rien essayé, sans la trouver sur notre chemin ; elle prenait à tâche de nous isoler et de nous annuler. Cependant, par la force même des choses, il y avait une conspiration latente entre le nom prussien et toute l’Allemagne libérale. En 1849, nous avons refusé la couronne impériale que nous offrait la révolution. Nous avons été payés de nos ménagemens par nos humiliations de 1850. Il s’est trouvé plus tard que l’Autriche, menacée dans ses possessions italiennes, a eu besoin de nous. Elle nous a requis de venir à son aide ; nous lui avons répondu qu’en notre qualité de confédérés nous n’étions point tenus de lui garantir ses possessions non allemandes, mais que nous étions prêts à entrer en arrangement avec elle, à lui offrir notre alliance, si elle voulait signer avec nous une convention. Et que lui demandions-nous pour prix de nos services ? Le partage de la présidence et l’union étroite avec les petits états qui sont chez nous ou dans notre banlieue, et dont il nous importe d’être sûrs pour avoir la liberté de nos mouvemens. L’Autriche n’a voulu entendre à rien ; elle a mieux aimé perdre l’Italie que renoncer à sa prépotence dans la confédération germanique, qu’elle a tenté plus tard, au congrès de Francfort, de réorganiser sans nous et contre nous. Il ne nous restait plus qu’à abdiquer ; mais l’abnégation est une vertu de moines, non de politiques. Les armes ont décidé ; désormais nous serons chez nous en Allemagne. Nous n’entendons pas