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avoir sur toute chose son propre avis et se donne quelquefois le luxe d’en avoir deux ; l’un, amoureux des idées claires, qui sont quelquefois des idées étroites ; l’autre, visant au complet et se payant souvent d’idées confuses qui le mènent où il ne veut pas aller ; l’un enfin, pays de la méthode, de l’éloquence, des chansons et des folies passionnées ; l’autre, pays des systèmes, de la critique audacieuse, des longues patiences et des folies froides. Français et Allemands, les deux peuples causent l’un avec l’autre par-dessus le Rhin ; mais ils ne se comprennent pas toujours, et dès que les amours-propres s’en mêlent, ils ne se comprennent plus du tout.

Au surplus, il n’est pas besoin aujourd’hui d’être Français pour avoir de la peine à comprendre l’Allemagne. Il lui est difficile à elle-même de savoir bien nettement ce qu’elle est et ce qu’elle veut, et la faute en est moins au génie de la nation qu’aux circonstances. Depuis longtemps, les Allemands sont travaillés du désir de se donner une organisation plus forte, qui se prête au développement de leur puissance politique. Il ne leur suffit plus de jouer un rôle considérable dans l’histoire de la civilisation, d’être une des grandes races de ce monde, la plus féconde de toutes, l’une des plus riches en grands esprits et en aptitudes diverses. Ils envient à leurs voisins de l’est et de l’ouest leur constitution unitaire et les facilités qu’elle donne pour la politique active ; ils désirent devenir un peuple, dire leur mot, peut-être un mot décisif, dans toutes les questions que l’Europe peut avoir à résoudre. La confédération germanique, qui a été enterrée en 1866 et dont personne au-delà du Rhin n’oserait porter publiquement le deuil, laissait peu de chose à désirer au point de vue de la sécurité de l’Allemagne. C’était une institution défensive d’une incontestable efficacité. La nation allemande avait deux puissans tuteurs, qui se trouvaient toujours d’accord quand il fallait défendre leur pupille contre les convoitises de l’étranger et contre toute ingérence indiscrète dans ses affaires. Cela s’est bien vu en 1849. En revanche, s’agissait-il de faire quelque chose, de se réunir pour quelque entreprise commune ; les jalousies intestines, le désaccord des intérêts et des conseils, de fatales rivalités, donnaient libre jeu aux intrigues étrangères et réduisaient l’Allemagne à l’impuissance. Il y a bien paru en 1850. L’Allemagne était en sûreté chez elle ; mais les fêtes de l’amour-propre lui étaient refusées, et elle a fini par mépriser son bonheur. Il lui faut de la gloire, de la gloire sonnante et trébuchante, bien qu’elle puisse se convaincre par l’exemple de ses voisins que la gloire se paie, et que souvent elle se paie très cher.

Il serait inutile de raisonner sur ce point avec les Allemands. Ils sont unanimes à déclarer qu’ils entendent être forts et contraindre