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Aujourd’hui l’Allemagne a moins de complaisance pour ce qui lui vient du dehors ; elle se défend contre les importations. Fière de sa supériorité scientifique et universitaire, elle aspire, en politique aussi, à ne relever que d’elle-même.

L’Allemagne, quoi qu’elle en dise, a beaucoup appris de Napoléon Ier ; elle a fait sous ce terrible maître un cours élémentaire de démocratie et de droit civil moderne. Plus tard et pendant plus de trente années, elle a été l’écolière de la tribune française. Elle regardait, elle écoutait, elle profitait. C’est de la France qu’elle a appris ce qu’elle ne sait encore qu’à moitié, l’égalité devant la loi, le gouvernement représentatif, le contrôle des assemblées, la publicité des comptes de l’état, la souveraineté de l’opinion. Les événemens qui ont suivi la révolution de février, les terribles épreuves qu’a traversées la France, la longue éclipse qu’ont subie ses libertés, ont singulièrement amoindri au-delà du Rhin le prestige dont jouissait l’école politique française. Dans cette réaction, il entre une part de vérité, beaucoup d’injustice aussi et une grande méconnaissance des situations et des causes qui les ont produites. C’est une idée répandue parmi les libéraux d’outre-Rhin que la révolution française est une entreprise manquée, que les espérances de 89 ont fait banqueroute et ne s’en relèveront pas, que, de tous les peuples de l’Europe, les Français sont peut-être le plus inapte à la liberté, que leurs leçons et leurs exemples ne sont bons à méditer que pour se préserver de leurs fautes et pour faire autrement qu’eux. À cette hautaine censure des erreurs d’autrui, les libéraux allemands joignent une prétention peut-être exagérée à l’originalité politique ; ils estiment que l’Allemagne est assez riche pour ne rien emprunter à personne, qu’elle doit tout tirer de son fonds, qu’elle est appelée à se créer de toutes pièces des institutions qui ne ressemblent à rien de ce qui se voit ailleurs. Son jour est à la fin venu ; c’est à elle qu’il appartient de découvrir la vraie justice, la vraie liberté, de fonder l’état-modèle. Voilà du moins ce qui se dit au nord du Mein, et assurément on ne peut que louer ce désir d’être soi ; mais tout excès est un défaut, et il y a quelque danger dans cette prétention à ne rien faire comme les autres. C’est se condamner à des mécomptes ou à des injustices. Un homme d’état belge disait un jour à des libéraux prussiens en quête de la meilleure constitution allemande possible : « Vous bâtissez Chalcédoine en ayant Byzance sous les yeux. Faites une traduction libre de la constitution belge, et étendez à toute la Prusse les codes qui régissent la province du Rhin. » On lui répondit que ces codes étaient d’origine française, que d’autre part la Belgique, c’était encore la France, et que les Allemands entendaient faire du neuf. Un peu plus tard, l’un