Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/259

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
REVUE. — CHRONIQUE.

cidé. Les insurgés ont leurs rochers inaccessibles pour asile, et pour auxiliaires les Monténégrins, les habitans de la Bosnie, de l’Herzégovine. Pourquoi les Dalmates de Cattaro ont-ils pris les armes ? Il est vraisemblable que l’Autriche subit aujourd’hui les conséquences de l’abandon dans lequel elle a laissé ce petit pays, qui est resté depuis 1815 en dehors de tout mouvement de civilisation, et il est probable aussi que l’insurrection actuelle est surtout le résultat des propagandes panslavistes qui agitent ces contrées, du Danube à l’Adriatique. Le prince Nicolas, du Monténégro, a eu la singulière idée d’offrir au gouvernement devienne sa médiation, qui a été naturellement refusée, et il a pris sa revanche en refusant à son tour à l’Autriche l’autorisation de faire passer des troupes sur son territoire pour opérer plus facilement contre les insurgés. Le Monténégro jusqu’ici est resté neutre en apparence ; si l’insurrection se prolonge, il peut être entraîné, et des autres provinces turques voisines on peut aussi répondre à l’appel des Dalmates, des « faucons des montagnes, » comme les appelle une proclamation qui n’a pas été sans doute rédigée par des montagnards. L’affaire pourrait devenir sérieuse, si on la laissait durer, si la Turquie était obligée de s’en mêler, et l’Autriche elle-même le sent bien, puisque l’empereur, avant de partir pour Constantinople, aurait laissé au ministre de la guerre de Vienne l’ordre d’accumuler les troupes contre les insurgés de Cattaro. On n’a pas besoin de si grands moyens pour contenir une population de trente mille âmes. Si l’Autriche va chercher les pompes pour éteindre une allumette, c’est qu’elle est persuadée sans doute que l’allumette peut enflammer cet incendie toujours redouté de l’Orient.

L’Angleterre en est aujourd’hui, non pas aux insurrections comme l’Autriche, mais aux manifestations comme la France, à qui elle pourrait certes donner bien des leçons de liberté pratique. Manifestation à Londres dans Hyde-Park, manifestation à Dublin, promenades pacifiques de quarante mille hommes, de cent mille hommes, meetings innombrables à Limerick, à Tipperary, et tout cela pour réclamer la libération des fenians jugés et emprisonnés depuis quelque temps. C’est en un mot toute une agitation irlandaise pour l’amnistie. Si c’était un cri sincère et miséricordieux d’apaisement, il aurait assurément des chances d’être entendu des libéraux anglais, qui ne sont arrivés au pouvoir, il y bientôt un an, qu’en prenant pour programme la pacification de l’Irlande, qui ont attesté déjà leur bonne volonté par la solution de la question religieuse, et en sont à étudier les moyens de résoudre la question agraire. Malheureusement l’amnistie, dans l’esprit de ceux qui la réclament, ressemble à un cri de menace et de défi bien plus qu’à une parole de concorde. On la demande non comme une mesure de générosité conciliante, mais comme un acte de justice, de résipiscence de la part de l’Angleterre, et avec la pensée avouée de recommencer la