Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 84.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
252
REVUE DES DEUX MONDES.

Que la France, assaillie à la fois par ces crises d’intérêts qui se réveillent, par les grèves qui se multiplient, par les agitations politiques, n’entre pas d’un pied sûr et décidé dans cet hiver qui vient prématurément éteindre les derniers rayons de l’automne, qu’elle ait les moroses préoccupations des peuples dans l’embarras, nous en convenons volontiers. La France est malade, c’est possible ; l’Europe, qui la regarde, se porte-t-elle beaucoup mieux ? est-elle plus assurée dans sa marche et se sent-elle plus disposée à se réjouir ? On ne s’amuse guère pour le moment qu’à Constantinople, où les princes se succèdent, à Suez, où le vice-roi fait le menu de ses invités. L’Orient est en liesse, l’Occident est moins gai. Le vent n’est pas sans doute aux conflits d’ambitions ; on se tait sur ce qui pourrait rallumer les divisions ; il n’y a point à l’heure actuelle de ces questions qui font présager les grands troubles, les déchiremens prochains entre nations ; il y a des malaises un peu partout. Il y a d’abord le souci universel de ce qui se passe en France et de ce qui peut arriver ; mais, même sans cela, chacun a ses tiraillemens et ses ennuis intérieurs. Crise ministérielle en Prusse à l’occasion des difficultés financières et des nouveaux impôts qui ont amené la retraite du ministre des finances, M. von der Heydt, crise ministérielle en Italie, crise ministérielle en Espagne, dissolution de la chambre de Bavière à la suite de votes obstinés qui coupaient le parlement de Munich en deux camps égaux. En Autriche, c’est autre chose : la Bohême gronde toujours sans éclater, la Galicie, plus tranquille jusqu’à présent, commence à donner des signes d’impatience, et la Dalmatie, à laquelle on ne songeait pas, vient de s’insurger. Nous sommes à un moment où les nuages qui montent à l’horizon ne refroidissent pas l’humeur voyageuse des princes. L’insurrection dalmate n’a pas empêché l’empereur François-Joseph de partir pour Constantinople et Suez accompagné de son chancelier, M. de Beust, et du chef du ministère hongrois, le comte Andrassy ; elle n’a pas moins quoique gravité, ne fût-ce que comme symptôme des sourdes et permanentes agitations de ces contrées orientales.

Dans ce vaste amalgame qui forme encore, même après toutes ses pertes, l’empire autrichien, il y a un fragment de terre, une sorte de triangle montagneux qui va tremper dans l’Adriatique. Des deux côtés sont des rochers abruptes et gigantesques séparés par des anfractuosités profondes ; c’est ce qu’on appelle les bouches de Cattaro. La population, peu nombreuse, est inculte de mœurs, énergique et fortement attachée à son indépendance. Par son origine slave, par ses traditions et sa religion, elle se rattache à ses voisins du Monténégro, aux raïas de l’Herzégovine, de la Bosnie. L’insurrection d’un si petit pays semble de peu d’importance ; elle n’est pas si facile à dompter, puisqu’elle tient l’Autriche en échec et la contraint à déployer un certain appareil de forces militaires, puisqu’il y a eu des rencontres sanglantes qui n’ont rien dé-