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passa en 1848 ? Au lendemain de la révolution de février, tout le monde, soit par entraînement, soit par soumission à la nécessité, se ralliait à la république nouvelle. Personne, on peut le dire, n’entrevoyait en ce moment la possibilité d’une restauration monarchique quelconque, et ne souhaitait mauvaise chance à l’institution qui venait de naître à l’improviste. Bientôt les manifestations commençaient, on voyait se former l’orage dans les clubs, au Champ de Mars, où grossissait d’heure en heure la grande grève des travailleurs, au Luxembourg, où se déployait le socialisme savant, prétendu savant. Chaque jour, il fallait courir aux armes au bruit du rappel qui battait dans les rues, ou spontanément pour tenir tête à quelque démonstration menaçante. À la longue, on se lassait, la révolte des intérêts allait en grandissant, et ceux qui vivaient d’un travail sérieux, d’une industrie honnêtement exercée, en venaient à se dire avec désespoir que les choses ne pouvaient durer ainsi, qu’il fallait en finir. La guerre civile naissait de l’incertitude et des agitations indéfinies. On n’a pas oublié le dénoûment. On sait comment une réaction immense succédait à la bonne volonté des premiers jours. C’est pourtant cette histoire que quelques énergumènes tiennent à recommencer en se couvrant du nom du peuple, et c’est ainsi qu’ils croient servir la cause de la France démocratique, en se servant de la liberté qu’ils ont retrouvée contre la liberté elle-même, en préparant la coalition des intérêts menacés, en altérant l’esprit public par des habitudes de polémiques injurieuses qui sont condamnées à se surpasser chaque jour pour retenir l’attention. N’était-ce pas un ami de l’empire qui avait l’étrange idée de conseiller au gouvernement de tirer du fourreau l’arme de ses lois répressives et de recommencer les procès de presse, suspendus depuis trois mois ? Quelle répression l’a jamais mieux servi que cette campagne qu’on dirait entreprise pour faire réfléchir le pays sur le lendemain d’une révolution ?

Il faut sortir de cette atmosphère d’excitations factices où tout est confondu, il faut rendre à la vie publique sa puissance et sa dignité, et c’est justement pour cela qu’il eût été utile de ne pas laisser se prolonger l’interrègne parlementaire. Plus que toute autre chose, la présence opportune du corps législatif était faite pour préciser les situations, pour placer à leur vrai rang les forces régulières de l’opinion. On a pu croire un instant que la session extraordinaire serait reprise dans les premiers jours de novembre, et que la session ordinaire commencerait définitivement le 29. Il est clair aujourd’hui que rien n’est changé, que tout est ajourné à un mois. D’ici là, les élections nouvelles de Paris auront eu lieu, et seront un incident de plus dans les premières discussions où le corps législatif donnera sa vraie mesure. Quelle sera la majorité, et de quels élémens se formera-t-elle ? Quelle sera l’opposition, et en combien de groupes sera-t-elle subdivisée ? Ce sont autant de questions qui restent