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REVUE. — CHRONIQUE.

dire, à s’exciter aux résolutions extrêmes, à toutes les audaces, sans rien faire. C’est une comédie qui, avec quelques variantes, rappellerait presque un dialogue de Rabelais, si ce n’est qu’ici il s’agit de faire une révolution et chez Rabelais il s’agit de prendre femme. — « Seigneur, vous avez délibération entendue, » nous voulons la révolution, il nous faut la révolution, — Eh bien ! faites-la. — Mais c’est que nous ne pouvons pas, on nous en empêche. — Alors ne la faites pas. — Elle est pourtant une nécessité, le peuple la veut et nous devons lui obéir. — Alors marchez. — Mais les chassepots sont là, le gouvernement est capable de s’en servir et de nous tendre un piège en se défendant. — Que faire ? Alors il faut aller consulter Trouillogan et Rondibilis, qui donnèrent de bons avis à Panurge. — Et, somme toute, les divagations enflammées continuent, la révolution ne se fait pas ; elle se fera toujours demain, elle n’est pas pour aujourd’hui.

Ici seulement naît un autre danger qui n’a plus rien de commun avec le ridicule. Si la société tout entière se composait de coureurs de réunions publiques et de journalistes romantiques, ce serait au mieux ; il y aurait chaque matin une manifestation, chaque soir une révolution, et l’humanité atteindrait sans doute en peu de temps le plus haut degré de bonheur et de prospérité. Malheureusement la société telle qu’elle existe se compose d’une multitude d’intérêts très sérieux, très pratiques, qui ont besoin de sécurité, de confiance, de crédit. Que promet-on à ces intérêts toujours prompts à s’alarmer ? L’agitation en permanence, la révolution le plus tôt qu’on pourra ; si ce n’est le 26 octobre, puisque ce cap est doublé, ce sera le 2 novembre en commémoration du représentant Baudin ; si ce n’est le 2 novembre, ce sera le 29 à l’occasion de l’ouverture du corps législatif et de la grande revendication du droit. Puis ce sera le 2 décembre ; d’ici là viendront les élections de Paris pour le remplacement des députés deux fois élus, MM. Picard, Jules Simon, Gambetta, Bancel, et par ce système d’agitation échelonnée, en allant de manifestation en manifestation, les affaires se resserrent, le travail s’interrompt, l’industrie est paralysée, le premier de l’an est peut-être déjà perdu pour le commerce parisien, les esprits finissent par s’aigrir et s’irriter. Que le gouvernement, par ses incertitudes, par ses atermoiemens, ait contribué à la stagnation des affaires, nous ne le mettons pas en doute ; mais ceux qui font de l’agitation un système, qui poussent à la panique des intérêts, même quand la meilleure politique serait une fermeté calme et prudente, sont-ils donc étrangers à cette crise qui va en s’aggravant ? Ils l’entretiennent et la ravivent sans cesse, non-seulement par leurs excitations, par des violences de paroles qui au premier signal deviendraient des violences d’actions, mais encore par les sophismes qu’ils proposent sur l’économie sociale, sur les fonctions naturelles du capital et du travail. C’est une histoire éternelle. Vous souvenez-vous de ce qui se