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lui-même, dans son apparente immobilité, n’est plus certes ce qu’il était, et, voulût-il remonter le courant, il ne le pourrait plus. Des lois présentées et votées il y a un an comme libérales restent inappliquées et ne répondent plus à l’état actuel. Les partis ne savent plus où ils en sont. Des hommes qui, aux élections dernières, étaient portés sur le pavois démocratique sont à leur tour honnis, conspués et dépassés par un flot plus violent, par un déchaînement nouveau. Il s’agit au fond de savoir si ce mouvement qui s’accomplit aujourd’hui en France, qui a commencé par être libéral et rien que libéral, deviendra un mouvement de démocratie purement révolutionnaire et socialiste, car il ne faut pas marchander sur les mots. Le phénomène caractéristique de cette situation nouvelle en effet, c’est la lutte entre l’esprit libéral et l’esprit de bouleversement absolu, c’est cet effort impatient, irrité, pour faire sortir une révolution indéfinie de la crise de transition que nous traversons, pour se placer en dehors de toutes les conditions d’une politique régulière et pacifique. Dans les journaux de l’avenir comme dans les réunions publiques, qui fonctionnent à l’abri d’une liberté presque sans limites, c’est une émulation véritable d’emportemens, d’invectives, d’utopies, de déclamations creuses, d’excitations envenimées. L’un ne veut que des candidats insermentés pour les élections prochaines de Paris, et il montre aux électeurs comment ils doivent s’y prendre ; l’autre tient pour le gouvernement direct du peuple, condamné au plébiscite forcé et à perpétuité. Celui-ci libelle le décret de déchéance de l’empereur, celui-là enseigne à ceux qui n’ont pas de gîte comment ils n’ont qu’à s’aller établir dans les maisons inhabitées de la rue Monge ou de la rue Lafayette, dont les propriétaires actuels ne sont que les détenteurs illégitimes. Tous sont d’accord pour proclamer la république démocratique et sociale, qui compte déjà quatre ou cinq candidats à la présidence tout prêts à se dévouer ou à se dévorer. Ah ! les tout-puissans novateurs qui en sont à dater leurs journaux de vendémiaire ou de brumaire et de l’an lxxviii, qui ne trouvent rien de mieux que de ressusciter la commune révolutionnaire, qui n’ont su se faire d’autre idéal que la convention, qui n’ont à mettre que des exhumations surannées, des invectives vieillies et des ressentimens jaloux dans leurs programmes ou dans leurs polémiques ! Ils ne voient pas que, si le gouvernement, qui après tout reste toujours armé de lois suffisantes, laisse dormir ces lois, s" il se borne à maintenir intacte sous sa main la force disciplinée de l’armée, il faut apparemment qu’il trouve quelque avantage dans ce débordement de passions violentes, condamnées fatalement à s’user par leur excès même et à s’émousser contre l’instinct public. Ils ne s’aperçoivent pas qu’il y a toujours quelque chose de ridicule à crier par les fenêtres : vive la république ! pour agacer les passans, à renverser tous les matins ou tous les soirs un gouvernement qui les laisse