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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 octobre 1869.

Il y a dans nos annales, au temps de Richelieu, une célèbre aventure semi-sérieuse, semi-comique, qui a gardé le nom de journée des dupes. De quel nom appellera-t-on la journée du 26 octobre 1869 ? Elle a passé pluvieuse et froide comme la plus vulgaire et la plus obscure des journées de l’histoire sans que rien ait remué dans la vieille cité révolutionnaire, sans autre incident qu’un bonhomme allant faire des calembours sur le corps législatif au pied de l’obélisque de la place de la Concorde ; elle restera la date énigmatique d’une grande et puérile mystification organisée par l’étourderie. C’est tout.

Ainsi, pendant six semaines, on se plaît à émouvoir le pays et même l’Europe au récit des événsmens qui se préparent. On passe le temps à monter les esprits dans les journaux tapageurs et dans les réunions publiques, on se donne des rendez-vous héroïques, on gourmande les tièdes et les prudens qui hésitent. Qu’est-ce à dire ? Le peuple le veut, cinq cent mille hommes pour le moins vont être sur pied et iront venger la souveraineté nationale offensée. La constitution est violée, l’empire n’existe plus, la révolution triomphe ! Au dernier moment, il est vrai, on se ravise, et on finit par prêcher l’abstention, mais en criant plus fort, comme si l’on voulait laisser croire à un mouvement irrésistible qu’on aura peut-être quelque peine à contenir ; en d’autres termes, on se lave les mains de ce qui surviendra. De son côté, le gouvernement, un peu étonné, se met en disposition de soutenir le choc, s’il doit y avoir un choc ; il prend ses mesures. Le maréchal Bazaine est appelé subitement au commandement de la garde impériale à la place du vieux et digne maréchal Regnault de Saint-Jean d’Angély, qui a besoin de repos. L’empereur lui-même vient de Compiègne à Paris, il veut être de la journée, et voir de près ce qui se passera. Le préfet de police, M. Pietri, ne se refuse pas la spirituelle et maligne satisfaction de