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instrumental, en multipliant, en exagérant les difficultés, force à l’étude de la syntaxe, et rend désormais impossibles certaines platitudes de langage. Relever, tonifier la partie technique d’un art est toujours un service rendu, et si M. Richard Wagner n’a point fait autre chose, du moins faut-il lui savoir gré de ce qu’il a fait là. L’art nouveau impose à ses adeptes un plus solide apport de science, et la décadence n’est point de ce côté. Ni Mendelssohn, ni Meyerbeer, ni M. Richard Wagner, n’en savent plus que n’en savaient Haydn et Mozart; mais la moyenne des compositeurs a perdu le droit de reproduire, tant dans la coupe des morceaux que dans les accompagnemens, ces banalités dont naguère encore se contentait le public de l’Opéra-Comique et des Italiens. Tout en reprochant à l’école moderne d’assourdir trop souvent son monde, il convient aussi de reconnaître que, même réduite à ses seuls effets d’acoustique, cette langue-là n’est point le partage du premier-venu, et l’on en peut dire ce que disait si bien Musset de la poésie :

Le vulgaire l’entend et ne la parle pas.

Notre époque a presque entièrement perdu le sens du rossinisme; autant confesser qu’elle n’a plus de raison pour s’intéresser à Donizetti. L’improvisation routinière ne nous touche plus, nous renvoyons à l’orgue de Barbarie ces partitions écrites en six semaines; nous avons sauté le fossé, et nous voilà, comme au temps de Gluck, dans les extrêmes du système opposé. C’est la caractéristique allemande aujourd’hui qui prévaut, qui déborde; nous avouons bien par moment que nous en avons trop, et cependant le désappointement va nous prendre devant telle œuvre remarquable du passé où cet élément ne brille que par son absence. L’homme qui écrivait l’Elisir d’amore, la Fille du régiment et Don Pasquale n’était certes pas un musicien vulgaire ; il n’eut qu’un tort : en changeant de sujet, il ne changeait jamais de style, portant dans le tragique les ritournelles de l’opéra-bouffe. L’auteur de la Favorite composant pour notre première scène lyrique est resté l’Italien italianisant d’Anna Bolena, de Belisario et de Lucia. Bien différent de Rossini, qui, dès le Comte Ory, modifiait, francisait sa manière, Donizetti continue imperturbablement à déployer le drapeau de la cavatine; la coupe des morceaux ne se dément pas une minute, et très souvent même, par un de ces effets particuliers à la musique dramatique italienne, il arrive que plus la situation devient solennelle, plus le motif se fait dansant.

Ce roi don Alphonse, par exemple, est-il assez Castillan, assez hâbleur? Dès les premières notes, vous le reconnaissez à son panache : « Léonor, pour toi je brave, » et si le chanteur, par sa propre redondance, vient ajouter encore à ce poncif, vous avez l’idéal du genre. Ba-